Par Michel de Laforce
Les jeunes salariés ont appris à se méfier des belles promesses de l’entreprise. Avant de devenir un « jeune cadre dynamique », il leur a fallu percer les arcanes du monde de l’entreprise : amie ? ennemie ? Souvent, leurs parents ont subi des plans sociaux, un licenciement, le chômage – des blessures durables. Mais ces jeunes salariés sont aussi exigeants : ils savent ce qu’ils veulent en matière d’organisation du travail. Quitte à « jouer perso ». Une évolution à laquelle les syndicalistes cadres de la FIECI doivent être attentifs pour mieux convaincre les jeunes cadres de la modernité de leur action.
Donnant-donnant…
Même si la conjoncture est moins dramatique pour les jeunes cadres (bac+3 à bac+5) que pour les moins diplômés, elle reste très sérieusement préoccupante. Les jeunes demeurent, encore et toujours, « la variable d’ajustement du marché de l’emploi » – et surtout de l’emploi de qualité (CDI à temps plein). Dans cette situation tendue, comment les jeunes cadres voient-ils leur avenir professionnel ? Selon une enquête récente (1), «les jeunes s’intéressent d’abord au contenu du travail et recherchent en priorité une qualité professionnelle : un travail intéressant et une bonne ambiance». Les trois occurrences suivantes sont également révélatrices : ils souhaitent, dans l’ordre, « ne pas risquer d’être au chômage », « avoir un travail dont on soit fier » et « rencontrer des gens sympas ».
Pour la responsable de cette enquête, les jeunes « font preuve d’une grande maturité dans la réflexion sur leur avenir. Il est intéressant de voir que des notions plus matérialistes comme ‘avoir un bon salaire’ sont secondaires dans leurs préoccupations ». Ce que confirme Sandrine Pageau (2) : «Adepte du donnant-donnant, la nouvelle génération se montre exigeante et ose exprimer ses attentes : autonomie, perspectives d’évolution, formation». On attendait des jeunes blasés, on les trouve à la fois réalistes et idéalistes !
Comment l’entreprise peut-elle répondre à ces souhaits ?
Tout d’abord en adoptant des modes de fonctionnement adaptés aux valeurs de ces jeunes cadres – voir notre note d’avril 2009 consacrée à la « génération Y » . D’où quelques axes permettant de mieux manager les jeunes cadres :
• Donner du sens en misant sur le développement durable et sur l’humain,
• Respecter l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée,
• Fonder sa communication sur la transparence : ni langue de bois, ni fausses promesses,
• Leur laisser de l’autonomie dans leurs missions et les responsabiliser,
• Favoriser la proximité, en privilégiant des équipes réduites, des échanges personnalisés,
• Les épauler en faisant régulièrement le point sur leur carrière. Même si leur manager direct ne peut être à la fois un grand frère, un coach et un impresario, il aura tout intérêt à opter pour un accompagnement individualisé.
En conclusion, « le patron glacial qui ne voit dans ses salariés qu’une simple main-d’œuvre a tout faux. Il faut réinvestir dans une valeur : le capital humain ».
Jamais sans mon réseau
Un pied dedans, un pied dehors : ce « capital humain » a tendance à être plus volage que ne le voudraient les directions. Ayant intégré « la tendance forte d’une économie très mouvante », les jeunes cadres se motivent sur le court terme. Ils se voient rarement vieillir dans la même entreprise. « Nous savons très bien, le jeune et moi, qu’il ne restera pas dix ans. On s’y fait ! » confie un responsable RH. Mais « on se quitte généralement en bons termes. Il reviendra peut-être quelques années plus tard ». D’où l’intérêt de « penser en termes de ‘fidélisation de carrière’ et de garder le contact, via les réseaux sociaux notamment ». Ces réseaux « doublent » souvent de manière officieuse la communication corporate : ambiance, mobilité, projets, contraintes, toutes ces informations circulent librement. La notion de confidentialité en prend souvent un coup dans l’aile ! Au grand dam des directions…
Les réponses du syndicalisme cadre
La lucidité avec laquelle les jeunes cadres pensent leur rapport à l’entreprise impacte le syndicalisme cadre, une évolution que la FIECI prend en compte avec grand intérêt. De nombreuses valeurs défendues par les jeunes sont en résonnance avec les nôtres : équité, besoin de dialogue, sens critique, ouverture au monde… Il s’agit donc de les motiver pour nous aider à « faire bouger les lignes ». Le « militantisme de papa » a vécu ? Aux jeunes d’initier de nouveaux vecteurs de communication, notamment par le biais de leurs propres réseaux de sociabilité, expression sans doute plus appropriée que celle de « réseaux sociaux », le caractère social de ces réseaux restant à démontrer… Quant au turn over, il peut avoir pour corollaire la diffusion des idées et des méthodes par « capillarité » : à nous de faire en sorte que ces jeunes transmettent leur vision du syndicalisme cadre à leurs prochains collègues.
Un formateur le confirme : les jeunes cadres sont « beaucoup mieux armés que leurs prédécesseurs sur les trois compétences indispensables à un bon cadre : savoir mieux que les autres communiquer, entraîner et négocier. Car toute leur expérience antérieure, depuis leur plus tendre enfance, a consisté à communiquer avec leurs parents, leurs enseignants et l’autorité en général pour obtenir ce qu’ils voulaient, quand ils le souhaitaient ». Ne nous privons pas de ces compétences !
(1) Comment les jeunes voient-ils leur avenir professionnel ?, étude Consojunior 2008 pour TNS Media Intelligence.
(2) Recruter et manager les jeunes, 100 conseils de pro, par Sandrine Pageau, L’Express, 128 p., 12 €.
EXTRAITS
Les cadres, des pros de l’info – « Quand on est face à une équipe jeune, il faudrait être un professionnel de l’information, idéalement un présentateur de télévision. Avec cette population habituée à une éducation visuelle très élaborée, il faut que nous, managers, soyons de vrais acteurs ! Depuis leur prime jeunesse en effet, ils ont accès à des présentations de l’information faites par des professionnels, vivent et traitent l’information rapidement. Pour faire passer des messages, faire adhérer des collaborateurs, on ne peut plus fonctionner en mode hiérarchique pur. Pour être bien compris, il faut savoir communiquer de façon vivante, dynamique, claire et très efficace. »
Recruter et manager les jeunes, 100 conseils de pro, par Sandrine Pageau, op. cit.
S’exprimer, critiquer, participer : le tiercé « jeune » – « Sans confondre l’entreprise avec la démocratie totale, celle-ci peut au moins créer les conditions d’une discussion commune et d’une prise de décision expliquée. On organise ainsi des réunions de travail sur les grandes actions qui vont avoir un impact sur l’équipe. Quand une directive est donnée, on revient dessus, chacun pose des questions, on en rediscute. On passe du temps à communiquer là-dessus, mais ce n’est pas une perte de temps. D’autant moins que cela va de pair avec l’évolution des entreprises elles-mêmes : tout va plus vite, on fait des projets à court terme et dans ce contexte, il est important que l’ensemble des collaborateurs soient acteurs, que les équipes soient le plus rapidement possible au même niveau d’information. »
Recruter et manager les jeunes, 100 conseils de pro, par Sandrine Pageau, op. cit.
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