Assurance chômage : les sénateurs dénoncent la mise à l’écart des partenaires sociaux

Assurance chômage : les sénateurs dénoncent la mise à l’écart des partenaires sociaux

Deux sénateurs clés de la majorité sénatoriale restent sur leur faim au sujet du projet de loi de prorogation des récentes modifications de l’assurance-chômage. Ils pointent surtout un dessaisissement des organisations syndicales et patronales. Quant à la future réforme « à la canadienne », ils attendent les modalités exactes. Une socialiste s’indigne du mécanisme de modulation en fonction de la conjoncture imaginé par l’exécutif.
Guillaume Jacquot

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Le gouvernement lui a donné le nom de projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail ». Présenté ce 7 septembre en Conseil des ministres, ce projet de loi vise essentiellement à prolonger les nouvelles règles d’indemnisation de l’assurance chômage entrées progressivement en vigueur à partir de 2021, au-delà d’octobre. Le texte va permettre à l’exécutif de « déterminer les règles relatives à l’indemnisation des demandeurs d’emploi jusqu’au 31 décembre 2023 ». Succinct, le projet de loi comprend également quelques mesures pour étendre l’accès aux validations des acquis de l’expérience et des ratifications d’ordonnances.

Il sera d’abord examiné par les députés dès le début d’octobre, avant d’être transmis au Sénat, qui a réceptionné le projet de loi ce mercredi. Pressentie pour en être corapporteure au Sénat avec le centriste Olivier Henno, la sénatrice LR Frédérique Puissat regrette la place de plus en plus importante que s’est accordée l’Etat pour un mécanisme assurantiel géré par les représentants des salariés et ceux des employeurs. « On donne les clés de l’assurance chômage au gouvernement et pas aux partenaires sociaux. Tout ce qui a été mis en place tend à dessaisir les partenaires sociaux », regrette la sénatrice de l’Isère.

Frédérique Puissat, potentielle rapporteure du projet de loi, redoute de nouvelles décisions jupitériennes

« À un moment donné, quand on veut être au plus près des entreprises, quand on veut des réformes pérennes, qui permettent d’assurer une paix sociale, c’est au sein du paritarisme que cela doit se régler. Sinon, on va avoir des choses très jupitériennes, accouchées dans la douleur », ajoute-t-elle.

Son collègue Olivier Henno exprime les mêmes inquiétudes. « Mes fondamentaux, c’est quand même le paritarisme et la place des collectivités territoriales. Je ne pense pas que l’étatisation soit une piste de progrès. » Monique Lubin, cheffe de file des socialistes à la commission des affaires sociales, n’en pense pas moins « C’est quand même une remise en question des partenaires sociaux. Le temporaire tend à devenir pérenne. C’est une remise en cause de tout ce qui régit nos relations sociales. »

En 2019, le gouvernement avait repris la main dans la définition de nouvelles conditions d’indemnisation, censées accélérer la reprise d’un emploi. Syndicats et patronat n’avaient pu se résoudre à rendre une proposition. La faute, selon les premiers, au cadrage strict du gouvernement, qui exigeait un milliard d’euros d’économies par an pour le régime assurantiel. Frédérique Puissat, très investie au Sénat sur les thématiques de l’emploi, n’a jamais apprécié la décision solitaire du gouvernement dans cette affaire. Après le coup de semonce du Conseil d’État il y a deux ans, elle avait appelé à « mettre tout à plat » (relire notre article).

« Je ne m’interdis pas de réécrire l’histoire qui n’est pas dans le texte »

Ces deux membres de la majorité sénatoriale s’accorderont aussi sur un point : le texte est jugé décevant, au regard des alertes récurrentes du gouvernement sur les difficultés de recrutement des employeurs. « Le gouvernement a tenu sa promesse : le texte est court », raille Frédérique Puissat. Rôle de Pôle emploi, insertion des allocataires du RSA : beaucoup de sujets manquent dans ce projet de loi, selon elle. « À titre personnel, je ne m’interdis pas de réécrire l’histoire qui n’est pas dans le texte. Il faut lui redonner du corps, et redonner aux partenaires sociaux leur place. » Le groupe LR devrait arrêter sa ligne sur le texte à la fin du mois.

Pour le centriste Olivier Henno, c’est également un sentiment de déception qui prédomine à la lecture du texte. « En réformant l’assurance-chômage, est-ce qu’on ne tape pas à côté de la cible ? Est-ce que la question ce n’est pas la formation initiale et continue, le retour à l’emploi des allocataires ? Notre tentation, ce sera peut-être d’amender le projet de loi et d’écrire celui que nous aurions imaginé. C’est un peu timide par rapport aux ambitions qui ont été affichées. » Sur France Travail, qui doit succéder à Pôle emploi, sur la gouvernance de l’Unédic, le régime paritaire de l’assurance-chômage, le texte est pour l’heure muet. Et pour cause, le gouvernement compte s’y atteler dans quelques mois, au moment d’une concertation avec les partenaires sociaux.

D’ici là, l’exécutif prépare le deuxième étage de la réforme de l’assurance chômage, qui doit décoller au deuxième semestre 2023. Un système, inspiré du Canada, pourrait moduler les conditions d’accès à l’indemnisation, en fonction de la conjoncture du marché du travail (relire notre article). Le gouvernement prévoit une concertation avec les partenaires sociaux sur ce principe de conditions durcies en cas de conjoncture économique favorable, et inversement, d’assouplissement quand les choses vont mal. Le ministre du Travail a tenu à distinguer cette phase de concertation d’une négociation. C’est au gouvernement qu’il reviendra de prendre les décisions.

« Ce n’est pas les conditions d’indemnisation qu’il faut remanier, c’est l’attractivité des emplois » réagit la socialiste Monique Lubin

À gauche, le sujet n’est pas loin de faire bondir la sénatrice PS Monique Lubin. « Le raisonnement est extrêmement simpliste. S’il suffisait d’indemniser moins les demandeurs d’emploi pour qu’ils repartent travailler, ça se saurait. Ce n’est pas les conditions d’indemnisation qu’il faut remanier, c’est l’attractivité des emplois. C’est une stigmatisation des demandeurs d’emploi ! » La sénatrice des Landes tient à rappeler au passage que les indemnités versées par Pôle emploi « ne sont pas une aide sociale, mais une assurance pour laquelle les demandeurs d’emploi ont cotisé. »

Sur ce chapitre, Frédérique Puissat tient à rester prudente, préférant laisser ce sujet aux acteurs du paritarisme. « Si les partenaires sociaux trouvent un terrain d’entente sur ce sujet, je trouve cela assez logique. » Cela semble difficile, puisque toutes les organisations syndicales sont contre cette idée de modulation du régime en fonction de la conjoncture. L’idée du gouvernement pourrait se révéler « plus compliquée » qu’elle n’en a l’air, selon elle. « Qu’est-ce qu’un marché qui fonctionne bien ? Est-ce que c’est territorial ? Pourquoi pas, mais j’ai d’autres idées. »

À ce stade, le centriste Olivier Henno émet aussi quelques réserves. « Je n’y suis pas opposé par dogmatisme, mais comme toujours, le diable est dans les détails. On peut très bien décider des choses qui s’appliquent pour un an, mais si la tendance s’inverse ? Il va falloir être très réactif. » Il ajoute : « L’Unédic est quand même un système assurantiel. Est-ce qu’à la fin c’est pour diminuer les prélèvements obligatoires ? Le système est généralement équilibré et il y a peu de salariés qui vont jusqu’au bout des deux ans d’indemnisation. » Selon des données de l’Unédic seulement 40 % des 2,6 millions de chômeurs étaient indemnisés. Et les allocataires consomment en moyenne 68 % de leurs droits.

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