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Avec 8% de chômage, la France a-t-elle atteint son "plein emploi"?

Depuis 40 ans, le taux de chômage n'est jamais repassé sous la barre des 7%. S'il existe toujours une marge de chômage structurel, celle de la France reste plus élevée que ses voisins du nord malgré la vivacité du marché de l'emploi.

C'est un des paradoxes de cette période post-Covid. Alors que la France va afficher la croissance la plus forte depuis les Trente Glorieuses, le pays peine à réduire son taux de chômage. Ce vendredi, l'Insee a publié les chiffres du troisième trimestre: 8,1% de chômage, un score stable par rapport au trimestre précédent mais forcément décevant.

En réalité, le taux de chômage français, s'il s'oriente à la baisse, peine à briser le plancher de verre des 8%. A l'exception du deuxième trimestre 2020, où il a flirté pour des raisons techniques avec les 7%, il semble destiné à s'y maintenir. Si bien que la promesse d'Emmanuel Macron d'atteindre "le plein emploi d'ici 2025" paraît vaine. A moins d'estimer que la France l'ait déjà atteint…

Le plein emploi ne signifie pas que tous les actifs sont au travail puisqu'il existe toujours, et dans tous les pays, un chômage incompressible qui comprend généralement les personnes entre deux emplois, les jeunes en fin d'études qui s'insèrent sur le marché du travail et les seniors proches de la retraite.

Les Etats-Unis ont probablement atteint le plein emploi en 2019 avec un taux de chômage à 3,6%. La même année, le taux est passé sous la barre des 5% en Allemagne. Ce chiffre est d'ailleurs celui choisi par l’Organisation internationale du travail (OIT) pour déterminer le plein emploi même si, en pratique, rien n'est vraiment figé.

Pas inéluctable

De son côté, la France a une spécificité: "on a le taux de chômage de l'Europe du sud mais les difficultés de recrutement des pays d'Europe du nord" résume sur BFM Business Gilbert Cette, professeur à l'Université d'Aix-Marseille II.

"On estime en France que le chômage structurel est entre 7 et 8% mais ça ne veut pas dire que c'est inéluctable" juge de son côté Stéphane Carcillo, responsable de la division revenu/travail de l'OCDE. "Les jeunes s'insèrent assez mal sur le marché du travail avec beaucoup d'allers et retours vers le chômage car on a un système de formation des jeunes trop éloignés de l'entreprise".

"A l'autre bout de la vie active, les seniors sortent très tôt du marché du travail car on a un âge de départ à la retraite plus bas qu'ailleurs" poursuit-il.

D'autant que l'assurance chômage indemnise plus longtemps les plus de 50 ans avec une allocation qui peut durer 3 ans (contre 2 ans pour les autres) et se poursuit pour jusqu'à l'obtention de tous les trimestres pour les personnes de 62 ans et plus qui ne bénéficient pas encore de leur retraite à taux plein. Une manière de lutter contre les difficultés des séniors à retrouver un emploi mais qui fait forcément gonfler le taux de chômage.

A cela s'ajoute aussi une utilisation accrue des contrats à durée déterminée et de l'intérim en France qui multiplie, là aussi, les allers et retours vers Pôle Emploi.

Incitation VS répression

Autant de facteurs sur lesquels le gouvernement tente d'apporter des réponses. La question de la formation, pour améliorer et accélérer l'arrivée des jeunes sur le marché du travail a été au cœur du quinquennat, notamment avec la forte stimulation des contrats d'apprentissage.

Le système de malus pour les entreprises qui privilégient les CDD plutôt que les CDI est aussi censé stimuler les contrats longs. La mesure vient d'être mise en place et les premières sanctions tomberont en septembre 2022, expliquait récemment la ministre du Travail Elisabeth Borne.

Enfin, la future réforme des retraites, avec un nouveau recul de l'âge de départ, pourrait aussi inciter les séniors à retrouver un emploi, à condition évidemment que les entreprises jouent le jeu.

Et c'est bien tout l'enjeu du plein emploi. La générosité du système français génère-t-il un chômage structurel fort ou vient-elle, au contraire, palier la frilosité des employeurs pour embaucher les jeunes, les séniors et le tout en CDI?

Fidèle au "en même temps", le gouvernement tente de trouver la bonne réponse en investissant massivement sur la formation des jeunes, tout en renforçant les contrôles sur les chômeurs. Diminuer les contrats courts tout en allongeant la durée du travail.

Pour Gilbert Cette, la question est aussi celle du salaire car des centaines de milliers de postes sont encore à pourvoir dans certains secteurs où les minimums de branches sont parfois inférieurs au Smic. "Il faudrait un peu plus d'attractivité" explique-t-il. "Et ce n'est pas qu'une question salariale, c'est aussi la question de la pénibilité ou des opportunités de carrière."

Revers de la médaille du plein emploi

Mais le plein emploi est aussi un chiffre à manier avec des pincettes puisqu'il ne prend pas en compte ceux qui travaillent à temps partiel mais qui souhaiteraient travailler plus. Surtout, il ne prend pas en considération les actifs qui ont renoncé à chercher du travail.

L'année dernière, un éditorial féroce du Guardian analysait le "miracle de l'emploi" britannique, en réalité, "le symptôme d'une maladie de l'insécurité" économique. "Les emplois instables, précaires, mal rémunérés et temporaires sont devenus la norme" tranchait le journal. C'est souvent le revers de la médaille des chiffres.

De la même manière, ce sont les actifs qui intègrent les statistiques de l'emploi. Or, une partie de la population en âge de travailler n'est plus active, pour des raisons diverses. Aux Etats-Unis, le taux d'activité (rapport entre le nombre d’actifs et la population en âge de travailler) baisse depuis 20 ans. Il est ainsi passé de 66% en 2000 à 61% en 2020 faisant sortir des statistiques du chômage (et de l'emploi) une partie d'Américains en âge de travailler. Cela concerne notamment les personnes proches de la retraite qui ne sont plus en état physique ou mental de travailler ou qui sont découragés du marché du travail.

En France, le taux d'activité reste plutôt stable à 72% mais se situe sous la moyenne européenne (73%). Faire baisser le chômage sans rogner le taux d'activité est une équation complexe. Mais c'est bien son résultat qui offrira un réel taux de plein emploi.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business