Égalité salariale entre femmes et hommes : quelles mesures pour l'atteindre ?

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Égalité salariale entre femmes et hommes : quelles mesures pour l'atteindre ?

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La ministre du travail Elisabeth Borne en déplacement à Vitry-sur-Seine le 2 novembre 2021
La ministre du travail Elisabeth Borne en déplacement à Vitry-sur-Seine le 2 novembre 2021
© AFP - JULIEN DE ROSA

À partir de 9h22 ce mercredi, les femmes commencent à travailler gratuitement jusqu'à la fin de l'année, selon le collectif féministe Les Glorieuses. L'écart salarial en France s'élève à 16,5% selon Eurostat, un chiffre en légère hausse. Mais quelles mesures adopter pour le réduire ?

#3Novembre9h22. À partir d'aujourd'hui, mercredi 3 novembre à 9h22, les femmes travaillent gratuitement, selon la newsletter féministe "Les Glorieuses". Chaque année, la fondatrice Rébecca Amsellem, docteure en économie, publie ce chiffre pour sensibiliser aux inégalités de salaires entre hommes et femmes en France

Elle s'appuie sur les données d' Eurostat, l'institut de statistiques européen, qui indique un écart de 16,5% en France cette année… contre 15,5% l'an dernier. Mais à quoi est-ce dû ? Quelles mesures permettraient de réduire les inégalités salariales plus rapidement ? Tour d'horizon.

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Conditionner l'accès aux subventions publiques à l'égalité salariale ?

C'est le principe de l'éga-conditionnalité : une entreprise peut accéder à des marchés publics ou des subventions, seulement si elle respecte l'égalité salariale. C'est la mesure la plus efficace selon Rebecca Amsellem, et la première citée dans sa pétition à destination des candidats à l'élection présidentielle. Déjà évoquée dans la loi de 2014 sur l'égalité réelle, elle n'est pas encore appliquée en France. Pourtant "c_'est la mesure à zéro euro_", explique-t-elle. "Elle peut être transpartisane pour les politiques qui sont contre un accompagnement de l'État au sein des marchés économiques". Elle souligne par ailleurs son effet quasi-immédiat. 

Dès lors qu'on conditionne l'accès à un marché public d'une valeur de plusieurs centaines de milliers d'euros et qu'on dit à l'entreprise qu'elle pourra y avoir accès si elle respecte une égalité de salaire, tout de suite cette question est prise beaucoup plus au sérieux.

Elle y voit une forme de "carotte, positive". Rachel Silvera, maîtresse de conférences à l’Université Paris Nanterre spécialisée sur les questions d'inégalités salariales, abonde dans ce sens. "Aujourd'hui, en France, nous n'avons pas forcément besoin de nouveaux textes, mais de textes existants effectifs, avec davantage de sanctions", explique-t-elle. 

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Revaloriser les salaires des emplois féminins ?

En France, la majorité de l'investissement de l'État est réalisé dans des secteurs essentiellement masculins. La crise du covid a encore creusé cette inégalité. 15 milliards d'euros du plan de relance ont été investis dans l'aéronautique et 7 milliards dans le numérique, deux domaines à 80% masculins. Rebecca Amsellem et Rachel Silvera militent donc pour la revalorisation des salaires des emplois où les femmes sont plus nombreuses, comme les infirmières (90,4% de femmes), les sages-femmes (87,7%) ou le corps enseignant (65,7%). "Ce sont des métiers peu valorisés socialement et économiquement or ce sont ceux qui ont tenu notre pays durant la pandémie", argumente Amsellem. 

Au-delà de l'aspect social et moral d'une telle mesure, elle avance son efficacité pour lutter contre l'écart de rémunération moyenne entre hommes et femmes de manière globale. Les femmes sont notamment moins bien payées car elles travaillent moins d'heures que les hommes, quatre fois plus souvent à temps-partiel. Or, selon l'économiste, si leurs salaires augmentaient et rejoignaient ceux des hommes, elles seraient moins enclines à réduire leur temps de travail systématiquement (car la perte serait plus grande pour le foyer). 

Des mesures de revalorisation des salaires ont été prises récemment par le gouvernement, pour les aides à domicile notamment. "C'est un premier pas, même s'il faut faire beaucoup plus pour qu'il y ait un effet plus immédiat d'une année sur l'autre", commente Rebecca Amsellem. 

Il faut exiger des négociations importantes dans tous ces secteurs"

Rachel Silvera a fait de cette revalorisation des salaires des métiers féminisés son sujet de prédilection depuis vingt ans.

Un congé parental payé à égalité ?

C'est la troisième mesure avancée par Rebecca Amsellem, sur laquelle elle compte notamment interpeller les candidats à la présidence de la République. Comme cela existe en Suède depuis les années 1990, elle encourage la mise en place d'un congé "parental" unique, qui remplacerait le congé "maternité" et "paternité". Ce sont 490 jours que les parents se partagent, mais dont 3 mois sont réservés au père, et perdus s'il ne les prend pas. Depuis le 1er juillet, le congé paternité est de 28 jours en France, et le congé maternité toujours de 10 semaines (post-natal). 

Selon l'économiste, cette mesure est efficace car elle permet de lutter à long terme pour l'égalité salariale, à compétences égales. De manière générale, une femme voit son salaire stagner à partir de 30 ans environ, alors que celui d'un homme augmente tout au long de sa carrière. Cela est dû au fait que les femmes mettent en pause leur carrière pour avoir des enfants, et bien souvent encore, s'en occuper. 

Le congé parental permettrait ainsi de "mettre tout le monde sur un pied d'égalité pour l'entreprise", et de "créer les conditions pour que l'enfant développe un lien similaire avec les deux parents. On appellerait ainsi autant l'homme que la femme quand l'enfant est malade", détaille Rebecca Amsellem. 

Pour Monika Queissen, économiste à l'OCDE en charge des politiques sociales et de l'égalité de genre, la mise en place d'un congé parental est l'une des mesures les plus efficaces choisie par de nombreux pays européens. Si les pères ont les mêmes chances de prendre un congé parental que les mères, le risque de discrimination à l'embauche est plus restreint. Pour elle :

La vrai égalité salariale ne sera jamais acquise tant qu'on n'aura pas l'égalité à la maison

"Oui, ça a un coût économique", précise Rebecca Amsellem, mais "l'égalité a un coût". Elle estime qu'aujourd'hui les politiques publiques pour atteindre l'égalité salariale sont encore trop peu concrètes, et "reposent trop sur les entreprises".

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Augmenter la place des femmes dans les instances dirigeantes ?

C'est une mesure en cours d'adoption. Le Sénat a donné son feu vert mercredi dernier à une proposition de loi pour instaurer des quotas de femmes aux postes de direction des grandes entreprises, avec un objectif de 40% d'ici 2030. Elle vise à "accélérer l'égalité économique et professionnelle", selon LREM, le groupe parlementaire à l'origine du texte. 

Peut-elle avoir un réel impact sur l'égalité salariale ? Oui, selon les économistes. La loi Copé-Zimmerman de 2001 a déjà permis d'afficher une parité quasi parfaite dans les conseils d'administration, et donc de réduire l'écart salarial entre hommes et femmes touchant des hauts revenus, particulièrement important. 

"C'est intéressant", mais ce n'est pas suffisant pour Rachel Silvera. "Pour moi ce n'est pas ça l'égalité. Beaucoup de femmes ne bénéficieront pas de ces mesures. Ce n'est pas parce que nous aurons 40% de femmes dirigeantes que les autres femmes vont en bénéficier", explique-t-elle. Pour l'économiste, il n'existe pas qu'un seul plafond de verre, à l'entrée des Comex.

Le plafond de verre s'adresse à toutes les employées qui n'arrivent pas à devenir cadres intermédiaires, et à toutes les techniciennes qui ne parviennent pas à passer cadres"

L'index de l'égalité femmes-hommes dans les entreprises ?

Créé par l'ancienne ministre du travail Muriel Pénicaud fin 2018, il est entré en vigueur dans les plus grosses entreprises en mars 2019. Il oblige chaque année les sociétés de plus de 50 salariés à publier leur score sur 100, à partir de mesures prises pour atteindre l'égalité femmes-hommes. En 2020, la note moyenne s'établissait à 85/100, mais seuls 2% des entreprises obtenaient un score de 100.

"Je trouve ça intéressant, mais ce n'est pas suffisant le "name and shame" [nommer et faire honte, Ndlr]", précise Rebecca Amsellem. Lors de sa création, la ministre prévoyait que les entreprises n'ayant pas atteint ce score d'ici trois ans (soit en mars 2022 pour les premières) soient sanctionnées financièrement jusqu'à 1% de leur masse salariale. Pas suffisant pour les deux économistes. Rachel Silvera :

Je m'insurge sur le fait que les trois-quarts des entreprises aient de très bonnes notes

"C'est de l'esbrouffe, de la poudre aux yeux", pour l'économiste, qui a participé au départ à la construction des indicateurs de cet index. Selon elle, ces si bons résultats sont la preuve que le problème n'a pas été pris au sérieux : "on dirait que l'égalité salariale n'est plus un problème". 

Toutefois, du côté de l'OCDE, Monika Queissen insiste sur le fait qu'il s'agit d'un très bon évaluateur à l'échelle européenne, plus performant par exemple que celui mis en place au Royaume-Uni, où les entreprises peuvent très facilement gonfler leurs engagements pour l'égalité salariale. 

"C'est public, donc on peut voir qui est un bon ou un mauvais élève. C'est très incitatif pour les entreprises, qui peuvent l'utiliser pour leur communication, et il y a des pénalités pour ceux qui ne prennent pas de mesure pour améliorer la situation".

Selon le ministère du travail, 17 500 contrôles en entreprise ont été réalisés depuis 2019. 300 mises en demeure et 11 pénalités financières pour non déclaration de l’Index de l’égalité professionnelle ont déjà été prononcées. 

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