La réforme des retraites arrive au Sénat : tout comprendre aux « motions de procédure »

La réforme des retraites arrive au Sénat : tout comprendre aux « motions de procédure »

Comme à l’Assemblée nationale, l’examen de la réforme des retraites au Sénat pourrait voir les élus de gauche recourir à certains mécanismes parlementaires pour bloquer les débats, et ainsi marquer leur opposition. Tour d’horizon des principaux dispositifs prévus par le règlement de la Haute Assemblée.
Romain David

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Après dix jours de débats chaotiques à l’Assemblée nationale, la bataille des retraites est sur le point de s’engager au Sénat. Le projet de loi de finances rectificative de la sécurité sociale, portant le recul de l’âge de départ de 62 à 64 ans, sera débattu en séance publique à partir du 2 mars. Chaque camp s’apprête à ferrailler dans un cadre particulièrement contraint, puisque la nature budgétaire du texte permet au gouvernement, selon l’article 47-1 de la Constitution, de limiter la durée d’examen. Au Sénat, les élus auront jusqu’au 12 mars pour statuer. Alors que la majorité sénatoriale de droite et du centre soutient les grandes lignes du projet de réforme présenté par le gouvernement, les oppositions de gauche espèrent parvenir à jouer les prolongations pour empêcher un vote sur la totalité du texte, qui, le cas échéant, serait probablement adopté.

Les sénateurs disposent de différents outils dans l’arsenal parlementaire pour marquer leur désaccord. Parmi eux : « Les motions de procédure ». Elles permettent au Parlement d’exercer son action de contrôle sur le pouvoir exécutif, mais dans la mesure où elles n’aboutissent que très rarement, elles sont davantage utilisées comme des leviers d’obstruction parlementaire. La procédure qui entoure le dépôt d’une motion est en effet une manière de grignoter du temps sur la délibération de fond. A fortiori, cette manœuvre dilatoire permet de retarder, et dans certains cas de compromettre l’aboutissement d’un projet de réforme.

Retarder ou bloquer

L’usage des motions est principalement régi par l’article 44 du règlement du Sénat. Elles se présentent sous la forme d’un texte qui fait l’objet d’un débat puis d’un vote en séance, avant l’examen du projet de loi concerné. Il existe quatre types de motions : la motion de renvoi en commission, la motion de rejet, la question préalable et la motion préjudiciable. Citons également la motion référendaire, qui appartient à une catégorie un peu à part. Nous y reviendrons plus bas.

On peut regrouper les motions de procédure en deux grandes familles, celles qui ajournent l’examen du texte, comme la motion de renvoi, et celles qui sont susceptibles de mettre en échec le gouvernement comme la motion de rejet ou la question préalable. Certaines de ces motions ne peuvent être opposées qu’une fois par texte. Une motion peut être déposée par un sénateur ou par un groupe politique. En cas de doublon, la motion déposée par un groupe l’emporte sur celle du sénateur. « Lorsque les cas ont pu se produire dans le passé, un accord entre groupes a permis de régler les éventuels conflits », explique une administratrice du Palais du Luxembourg.

La motion de renvoi en commission

Cette motion suspend l’examen en séance publique pour renvoyer le texte, en partie ou dans sa totalité, devant la commission compétente, invitée à réexaminer son contenu. Celle-ci devra alors présenter un nouveau rapport aux élus. Si le texte a été inscrit à l’ordre du jour prioritaire sur décision du gouvernement – ce qui est le cas avec la réforme des retraites - la commission est tenue de présenter ses travaux au cours de la même séance, ce qui limite grandement la capacité de nuisance de cette manœuvre. La motion de renvoi en commission est examinée soit après la présentation du projet de loi par le gouvernement et les rapporteurs, soit après la discussion générale, mais toujours avant l’examen des articles et des amendements.

Toutefois, la possibilité d’un renvoi en commission « pour coordination » peut encore être soumise aux voix à la demande d’un sénateur, avant de procéder au vote sur l’ensemble du projet de loi. Ce procédé est surtout employé pour les textes particulièrement denses et complexes, nécessitant certaines retouches techniques. Il est donc tout à fait envisageable de l’utiliser sur un projet de loi de finances rectificative. Lorsque la séance reprend, seuls les ajustements rédactionnels proposés par la commission peuvent être discutés.

Le gouvernement peut également décider d’un renvoi du texte en commission en vue d’une seconde délibération de la chambre avant le vote final. Hypothèse hautement improbable avec la réforme des retraites, dans la mesure où l’exécutif a souhaité aller le plus vite possible sur ce texte, contraignant la durée des débats par application de l’article 47-1 de la Constitution.

La motion de rejet préalable

Également appelée dans le jargon sénatorial « exception d’irrecevabilité », cette motion a pour objet de démontrer que le texte proposé en lecture est contraire à certaines dispositions de la Constitution, et par conséquent que la délibération n’a pas lieu d’être. C’est la raison pour laquelle la motion de rejet préalable est débattue avant la discussion générale. Les sénateurs ne peuvent l’invoquer qu’une seule fois au cours du débat, il n’est pas possible d’opposer une motion de rejet préalable à un simple article ou à un amendement, cette motion vise nécessairement l’ensemble du texte. Par conséquent, son adoption entraîne le rejet immédiat du projet de loi.

La question préalable

De la même manière que la motion de rejet, la question préalable permet aux élus de ne pas engager la discussion sur le texte soumis à examen. La question préalable invoque un « motif d’opposition » - qui peut être d’ordre constitutionnel comme avec la motion de rejet, mais pas uniquement -, ce qui rendrait inutile la délibération en séance publique. À titre d’exemple, le 26 septembre 2016, le Sénat rejette la proposition de loi « visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » après adoption d’une question préalable. Les élus ont estimé que la procédure accélérée déclenchée par le gouvernement sur ce texte ne permettait pas de légiférer sereinement sur un sujet aussi crucial que les libertés fondamentales. La question préalable est discutée après intervention du gouvernement et des rapporteurs du texte.

La motion préjudicielle ou incidente

Plus rare, la motion préjudicielle soumet, si elle est adoptée, l’examen du texte à certaines contraintes. Elle se traduit généralement par une suspension des débats ou leur renvoi à une date ultérieure, les élus estimant, par exemple, que leurs travaux pourraient être rendus caducs par l’avis d’une juridiction administrative ou une décision européenne, en lien avec l’objet qu’ils s’apprêtent à examiner. Mais dans la mesure où elle ne peut pas se voir appliquer aux textes inscrits à l’ordre du jour par le gouvernement, cette arme législative restera au placard pendant le débat sur les retraites.

La motion référendaire

La motion référendaire n’est pas à proprement parler une motion de procédure. Les juristes parlent de « motion de caractère externe », car elle suppose l’enclenchement d’un mécanisme législatif sur lequel sénateurs et députés n’ont pas vraiment la main. L’article 11 de la Constitution prévoit que le Parlement, sur « décision conjointe » des deux chambres puisse proposer au président de la République l’organisation d’un référendum. Il s’agit donc d’un mouvement en deux temps, l’Assemblée nationale et le Sénat devant préalablement s’accorder sur l’objet de ce plébiscite.

Coté Sénat, la motion référendaire doit être signée par au moins trente élus. Si elle est votée, la motion est transmise à l’Assemblée nationale qui dispose de trente jours pour l’examiner. En cas d’adoption, le président de la République est officiellement « saisi » de la demande de référendum. C’est à lui seul que revient la décision d’organiser, ou non, une consultation des Français selon les dispositions prévues dans l’article 11 de la Constitution qui encadre également les modalités du recours au référendum. S’il s’y refuse, l’examen parlementaire reprend son cours. Il ne peut être présenté qu’une seule motion référendaire par texte de loi.

La dernière motion référendaire adoptée par le Sénat date de 2014, sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales. Elle a été rejetée par l’Assemblée nationale. « Depuis la première motion référendaire, en 1984 sur le projet de loi relatif aux établissements privés, dix motions référendaires ont été examinées au Sénat. Quatre ont été adoptées », précise-t-on au Palais du Luxembourg. Il n’est jamais arrivé qu’une motion adoptée par le Sénat le soit aussi par l’Assemblée nationale.

La motion de censure

Utilisée à 14 reprises par les députés d’opposition depuis le début de la législature, la motion de censure n’existe pas au Sénat. En effet, la Constitution ne reconnaît pas à la Haute Assemblée le pouvoir de renverser le gouvernement.

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