Des cadres en pleine crise de doute. C’est l’une des conclusions de l’étude "Du sens à l’ouvrage : comprendre les nouvelles aspirations dans le travail", présentée le 22 juin par l’association de DRH Projet Sens, fondée par Jean-Baptiste Barfety, et parrainée par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard. "Le sujet du sens au travail est d’une importance essentielle pour l’avenir de nos entreprises, jugent l’ex-patronne de la CFDT et le président de Renault. Les DRH doivent en prendre conscience."
Manque d’autonomie, pression, objectifs insoutenables… les managers sont de plus en plus désorientés. Parmi les maux pointés dans le rapport figure le sentiment d’accomplir des missions peu concrètes et sans utilité. Ainsi, 66 % des cadres du secteur privé trouvent qu’il y a trop de "paperasse et d’administratif". Un sentiment partagé par 76 % d’entre eux dans le public. "Ces vingt dernières années, les conditions de travail se sont durcies pour les cadres, confirme François Hommeril, leader du syndicat CFE CGC. Ils croulent sous les reportings et font face à une pression forte. La conséquence est une explosion des risques psychosociaux."
Un rôle de fusible
Les managers sont particulièrement exposés. "Ils sont pris entre le marteau et l’enclume, poursuit Jean-Baptiste Barfety. D’un côté, ils ont la pression de leur hiérarchie pour avoir des résultats économiques. De l’autre, les salariés sous leur supervision demandent une meilleure prise en compte de leurs aspirations, comme le respect de l’équilibre vie professionnelle-vie privée."
En clair, ils jouent un rôle de fusible alors qu’eux-mêmes se posent beaucoup de questions sur leur mission. Ce malaise nourrit des envies d’ailleurs. D’après l’étude, 42% des cadres de moins de 35 ans ont déjà démissionné d’un poste en CDI dans les deux ans suivant leur prise de poste. Ce phénomène est classique chez les jeunes, plus mobiles, qui changent d’entreprise pour augmenter leur salaire et grimper dans la hiérarchie. Mais il tend à se généraliser. Ainsi, selon l’étude de Projet Sens, plus d’un manager sur deux (52%) envisage de quitter, dans les deux ans, son emploi.
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Orange et son "congé de respiration"
Pour les employeurs, la tâche est difficile. La baisse du chômage des cadres (à 4,1% au premier trimestre) et la pénurie de main-d’œuvre dans beaucoup de secteurs leur ont redonné le pouvoir de dicter leurs conditions. "Les entreprises doivent se remettre en question en se demandant si elles sont assez attractives, affirme Alain Roumilhac, président de ManpowerGroup France, géant de l’intérim. Sinon, elles auront du mal à recruter et à garder leurs salariés les plus talentueux."
Certains grands groupes multiplient les initiatives. Orange a créé un "congé de respiration" pour les salariés ayant au moins dix ans d’ancienneté. Ces derniers peuvent faire une pause dans leur carrière et enseigner dans les écoles, s’engager dans une association ou monter une start-up. L’opérateur offre aussi la possibilité d’effectuer une immersion de deux semaines dans un autre service pour découvrir un nouveau métier.
De son côté, Renault a créé une université maison pour favoriser la mobilité interne de ses cadres en leur proposant des formations sur les métiers de demain ou sur le management. Des premiers pas pour remotiver les troupes. Car le rapport est formel : les salariés qui trouvent un sens à leur travail sont trois fois plus susceptibles de rester dans l’entreprise.