Dans un nouveau rapport sur la richesse, l’Observatoire des inégalités poursuit son plaidoyer entamé en 2020 en faveur de l’adoption d’un « seuil de richesse ». Arguant qu’il est inopérant de se focaliser uniquement sur les « ultra-riches », l’association produit des statistiques originales sur la population riche en France, définie comme étant celle dont les revenus disponibles sont supérieurs à deux fois le niveau de vie médian – celui qui partage la population en deux, la moitié gagnant moins et l’autre plus. Ce choix d’établir un seuil égal au double du revenu médian est inspiré de l’Allemagne où, note le rapport, le gouvernement a commencé à se référer à un seuil de richesse il y a vingt ans.
En 2019, selon les données les plus récentes, ce niveau de vie médian se situait à 1 837 euros pour une personne seule, après impôts et prestations sociales. Le seuil de richesse fixé par l’organisme équivaut donc à 3 673 euros par personne, toujours après impôts et prestations, 5 500 euros pour un couple sans enfants et 7 700 euros pour un couple avec deux enfants.
Un « seuil de richesse » à 3 700 euros de revenus par personne
Une fois ce seuil retenu, il est possible de calculer le nombre de personnes se situant dans les tranches supérieures en se basant sur les enquêtes de revenus fiscaux et sociaux produites par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) – sur la base d’informations provenant de 50 000 ménages, dont ont été récupérées les données fiscales, et des organismes sociaux. En 2019, 4,5 millions de Français (7,1 % de la population) disposent ainsi de revenus égaux ou supérieurs à ces montants, soit une baisse de 745 000 personnes entre 2010 et 2019. « Cette décennie succède à une période faste pour les plus aisés », avertit le rapport.
L’Insee s’intéresse ainsi aux hauts et très hauts revenus, classés dans les catégories dites des « 10 % » ou des « 1 % » les plus aisés – le dernier décile et le dernier centile de revenus. « S’en tenir au 1 % ou aux 10 % les plus riches présente une limite : on n’observe, par définition, que 1 % ou 10 % de population, là où des seuils de richesse permettent de suivre l’évolution du nombre de personnes se situant au-dessus de certains revenus », souligne l’économiste Pierre Madec, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, qui a été sollicité par l’Observatoire des inégalités dans le cadre de son rapport.
Les limites du « seuil de richesse »
Les limites du « seuil de richesse » sont nombreuses : à revenus semblables, la situation d’une famille locataire dans une grande ville aux loyers élevés est, par exemple, incomparable à celle d’un propriétaire sans endettement dans une petite ville.
L’organisme reconnaît ces limites et assume vouloir d’abord contribuer au débat sur l’appréhension de la richesse. Il s’agirait, d’une part, de responsabiliser les 7 % à 10 % les plus riches, et pas seulement les « 1 % » ; d’autre part, de disposer d’un outil de suivi des politiques publiques. Pierre Madec explique :
« Le seuil de pauvreté est le résultat de discussions internationales importantes : les organismes de politiques publiques se sont mis d’accord au niveau européen pour le fixer à 60 % du revenu médian. Cela n’empêche pas de recourir parfois à un seuil de 40 % ou 50 % du revenu médian. Un seuil est toujours arbitraire. Mais on dispose in fine d’un outil. On peut, par exemple, observer comment réagit le taux de pauvreté quand on touche aux prestations sociales. La difficulté reste qu’on ne peut pas “borner” la richesse, contrairement à la pauvreté, qui est comprise entre zéro et à peu près 1 000 euros de revenus disponibles. L’hétérogénéité est très grande entre une personne disposant de 3 700 euros de revenus et quelqu’un comme Bernard Arnault. »
Pour y remédier, l’Observatoire plaide, dans son rapport, pour la mise en place de plusieurs seuils de richesse distinguant les riches des « super-riches » et des « ultra-riches ». Les auteurs insistent sur la nécessité de suivre et croiser une pluralité d’indicateurs, de la même manière que la pauvreté est appréhendée non seulement avec un seuil, mais aussi en mesurant son « intensité » ou encore par les « conditions de vie » (par exemple, à quels biens de consommation un ménage renonce-t-il face à des difficultés financières).
Appréhender le train de vie
L’Observatoire des inégalités appelle ainsi les économistes et organismes de statistiques à suivre et produire plus de données sur les « conditions de vie », parfois nommées « train de vie » des personnes riches. « Pour mesurer le véritable train de vie, on pourrait ajouter aux revenus des ménages propriétaires de leur logement, l’équivalent de la valeur des loyers qu’ils ne paient pas, contrairement aux autres. Pour les locataires, on pourrait imaginer tenir compte du lieu d’habitation du fait des différences de loyers. » L’organisme estime encore qu’il faudrait ajouter au seuil de richesse certains critères comme l’âge, la stabilité du revenu ou encore le fait d’avoir un statut de la fonction publique.
Il compile, en attendant, différentes études, souvent incomplètes, permettant d’appréhender « la vie très confortable des personnes les plus aisées, dès le seuil de richesse de 3 700 euros mensuels après impôts ». Il y est question de logements, voyages, accès aux services à la personne, de sport ou encore de diplôme. Sur les mobilités par exemple, le rapport cite le ministère des transports, selon lequel « les 10 % les plus favorisés ont effectué neuf déplacements de plus de 80 kilomètres dans l’année pour motif personnel et parcouru presque 15 000 kilomètres, contre trois déplacements et 3 200 kilomètres en bas de l’échelle ».
L’organisation insiste, enfin, sur le patrimoine : « On devrait également pouvoir produire un indicateur portant sur le revenu et le patrimoine réunis. » Les deux sont, pour le moment, étudiés de manière séparée et les données manquent :
« En l’absence d’un seuil de fortune admis par l’Insee, nous ne connaissons pas l’évolution du nombre de ménages fortunés, c’est-à-dire riches en patrimoine. Seul indice, le nombre de ménages imposés pour leur grande fortune immobilière (au moins 1,3 million d’euros de biens immobiliers après abattement) progresse à nouveau de 8 % entre 2018 et 2020, après une hausse de 23 % du nombre de ménages redevables de l’ancien impôt sur la fortune, entre 2011 et 2017. »
L’Insee, que nous avons sollicité, afin de comprendre pourquoi il n’avait pas recours à un « seuil de richesse », nous a répondu que la « période de réserve électorale » ne lui permettait pas de donner suite.
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