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Pourquoi le télétravail est le grand oublié du nouveau protocole sanitaire en entreprise

Publiée ce lundi, la nouvelle version du document ne modifie pas les obligations en matière de télétravail alors que l'épidémie repart fortement à la hausse.

35.000 cas lundi, plus de 47.000 mardi, une tension en réanimation qui augmente également, arrivée du variant Omicron..., la cinquième vague covid s'annonce violente. Si la vaccination limite clairement les dégâts, le recours, à nouveau, au télétravail massif pourrait encore plus ralentir la circulation du virus.

Il y a moins de 15 jours, le professeur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique exhortait d'ailleurs le gouvernement à prendre cette mesure: "Avec le niveau de vaccination que nous avons, nous avons les capacités pour faire face à la cinquième vague. À condition d’utiliser tous les outils de la boite à outils. Qu'est-ce qui nous reste dans la boîte à outils que nous n'avons pas encore suffisamment utilisé? Le télétravail est un des points".

Mais jusqu'à présent, le gouvernement écarte une mise en place généralisée du télétravail. Un choix confirmé dans la nouvelle version du protocole sanitaire en entreprise publié le 29 novembre. Aucune modification sur le télétravail n'apparaît. Il prévoit toujours que "les employeurs fixent, dans le cadre du dialogue social de proximité, les modalités de recours" au télétravail.

Traduction: les entreprises ont la main, ce sont elles qui décident le nombre de jours télétravaillés et il n'y a aucune obligation.

20% de salariés en télétravail partiel en octobre

Même tonalité pour Elisabeth Borne, la ministre du Travail: "Aujourd'hui, il n'est pas prévu de rendre le télétravail obligatoire. J'invite toutefois toutes les entreprises à le favoriser et à définir les règles avec les représentants des salariés".

Pourtant, une chose est sûre, le recours au télétravail ne cesse de reculer en France. En octobre dernier, selon les derniers chiffres de la Dares, 20% des salariés ont été au moins un jour en télétravail (-1 point sur un mois) dont 6% tous les jours de la semaine (soit 1% de l'ensemble des salariés). C'est une baisse de 7 points en deux mois.

Les entreprises qui imposent au moins un jour de télétravail par semaine ne représentent plus que 8% des salariés (après 19% fin août).

A titre de comparaison, en novembre 2020, un quart des salariés avait été au moins un jour en télétravail et 44% d’entre eux toute la semaine, soit un pic pour le recours au télétravail en France.

Pourquoi cette frilosité alors que le télétravail a fait ses preuves pour casser la dynamique des contaminations tout en préservant la productivité des salariés?

Le gouvernement est clairement divisé: le ministère de la Santé aurait plaidé pour une approche plus ferme depuis quelques semaines tandis que Bercy pousse pour le statu quo, laissant les entreprises agir au cas par cas.

Des tensions dans les entreprises

Finalement, l'exécutif semble avoir cédé aux exigences du patronat mais aussi, chose assez rare, des syndicats de salariés, tous deux constituant un front uni en matière d'opposition à l'obligation du télétravail.

Pour le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, cela peut créer en plus des tensions dans l'entreprise: "Pour certains salariés qui ne peuvent pas télétravailler, l’image du télétravail, c’est un peu la glande!" a-t-il expliqué lors d'un déplacement dans le Finistère, selon Le Télégramme:

Invité sur BFMTV il y a quelques jours, il estimait que l'obligation de télétravail "serait une erreur". "Il faut laisser le dialogue de proximité se faire. Il y a eu beaucoup d'entreprises qui ont signé des accords" sur le télétravail, explique-t-il.

Une position partagée par l'ANDRH, l'association nationale des DRH. "On le dit depuis plusieurs mois, on a l'habitude désormais de gérer cette question et on a bien fait le boulot, on s'est organisé", souligne à BFM Business Benoit Serre, président de l'association.

Surtout, le responsable estime que rendre le télétravail obligatoire ne changerait pas vraiment la donne sanitaire. "Nous sommes aujourd'hui à 20% de salariés en télétravail partiel et on considère qu'on ne peut aller au-delà des 30%".

En réalité, outre les problèmes organisationnels ou les frustrations engendrées (entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne peuvent pas), le patronat tente surtout d'éviter de revivre à nouveau les difficultés du retour au bureau après une période de télétravail forcé.

Un retour qui s'est avéré compliqué à gérer, d'autant plus avec des collaborateurs qui ont décidé de déménager voire de quitter l'entreprise pour se reconvertir ou aller voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs. Dans un contexte de pénurie de compétences, les entreprises ne peuvent se priver de leurs forces vives. Quant aux autres, ils ont exigé qu'une dose de télétravail soit maintenue, une demande qui a necessité des négociations difficiles que les directions ne veulent pas revivre.

Luttes des classes

Ce statu quo satisfait également les organisations syndicales qui perçoivent le télétravail comme une source d'inégalités voire de nouvelle lutte des classes lorsqu'il est global et obligatoire. Car ceux qui sont à l'usine, les caissières, les conducteurs... n'ont pas le choix: ils doivent aller travailler.

"Les CSE vont se réunir à nouveau pour trouver les solutions les plus adaptées à chaque entreprise", commente Cyril Chabanier, président de la CFTC qui valide donc l'approche au cas par cas. 

De son côté, Philippe Martinez, patron de la CGT, tient à peu près le même discours: encourager oui, rendre obligatoire, non. "Il faut fortement le recommander, on voit bien que cette version du virus est foudroyante. Il faut faire en fonction des salariés mais encourager le télétravail, oui!", a-t-il dit sur Sud Radio le 29 novembre.

53% des salariés travaillent pour une entreprise qui n’envisage pas de faire évoluer la règle existante

Enfin, comme le souligne Sylvia Di Pasquale du site Cadremploi, ce manque de motivation pour un retour massif au télétravail pourrait s'expliquer par des raisons ethnologiques. Les managers français auraient besoin de contrôler de visu leurs collaborateurs, "un phénomène, qui, selon le chercheur Pascal Dibie, serait typique des pays catholiques et latins, en opposition aux cultures protestantes, où la confiance est plus spontanée. D’où le recours beaucoup plus important au télétravail dans les pays anglo-saxons".

La question est désormais de savoir si les entreprises vont modifier leur approche du télétravail alors que la 5e vague ne cesse de grimper?

Début novembre, toujours selon la Dares, 53% des salariés travaillent pour une entreprise qui n’envisage pas de faire évoluer la règle existante. Mais les lignes ont pu bouger depuis, avec la dégradation rapide de la situation sanitaire. 

"Il est encore trop tôt pour le dire, indique Benoit Serre de l'ANDRH. Pour autant, le protocole plus strict concernant la restauration en entreprise qui complique les organisations incite certaines directions à faire passer le nombre de jours télétravaillés de 2 à 3".

D'un autre côté, l'explosion du nombre de cas contact dans les entreprises complique également la donne. "C'est vrai, il y a de plus en plus de cas de salariés isolés car cas contact ou à cause de classes fermées, on voit bien qu'il se passe quelque chose", nous explique le responsable. Ce qui ne favorise pas la possibilité de mettre en télétravail les salariés qui ne sont pas concernés.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business