Retraites : une réforme par voie d’amendement est-elle possible juridiquement ?

Retraites : une réforme par voie d’amendement est-elle possible juridiquement ?

Le gouvernement n’a pas exclu d’agir via un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, pour mettre à délibération la réforme des retraites au Parlement. Contrairement à un projet de loi dédié, cette solution suscite toutefois des interrogations juridiques.
Guillaume Jacquot

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On ne parle plus que de lui. L’amendement, par lequel le gouvernement pourrait insérer la réforme des retraites dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), est devenu en quelques jours l’évènement de cette rentrée parlementaire. Entre un amendement sur ce texte budgétaire, qui doit être présenté le 26 septembre, et un projet de loi ad hoc, l’exécutif n’a pas encore tranché sur la méthode. L’arbitrage pourrait très vite intervenir, dans les jours à venir.

Il est en tout cas certain que la première option d’une réforme insérée dans le budget de la « Sécu » crispe les oppositions. Elles redoutent un débat contraint dans un projet de loi qui, certes, traite de la branche vieillesse de la Sécurité sociale, mais fait surtout la part belle aux articles sur l’Assurance maladie. Le gouvernement, par la voix du ministre chargé des Relations avec le Parlement, Franck Riester, rétorque qu’un amendement n’est « pas un gros mot ».

Une réforme des paramètres de la retraite, par le biais d’un amendement, priverait au passage la représentation nationale de certains éléments pour étudier en détail les tenants et les aboutissants de la réforme. Si les articles relatifs à la réforme des retraites étaient absents du projet de loi initial, l’étude d’impact serait donc silencieuse sur le sujet.

Les doutes des parlementaires sur l’étendue des possibles

L’introduction d’un amendement signifierait également qu’il sera impossible pour le Conseil d’État de rendre un avis juridique sur les dispositions proposées aux parlementaires. À cet égard, des questions sur la faisabilité ne vont pas manquer d’émerger. Selon un cadre de la majorité, l’exécutif est en train d’étudier l’étendue des possibles. Jusqu’où est-il possible d’intégrer des éléments par voie d’amendement au PLFSS ?

À cette question, plusieurs parlementaires expriment leurs doutes, au vu des éléments déjà évoqués par les membres du gouvernement. « La méthode va être prépondérante, parce qu’il y a aussi la question des régimes spéciaux, de la clause du grand-père [de la génération à laquelle s’appliquerait une éventuelle réforme, ndlr] et des marges de manœuvre dégagées pour le financement de la dépendance. Si on passe par un amendement au PLFSS, on est très loin de ces débats-là », nous confiait hier la sénatrice centriste Sylvie Vermeillet.

Dans les colonnes du Monde, le président du groupe LR, Bruno Retailleau, se montre également très dubitatif. « Je ne suis pas certain qu’un PLFSS permette de porter une réforme complète des retraites, à l’image de celle que défend le chef de l’État. » Un sénateur socialiste lâche même le mot. « Cavaliers législatifs. » Des dispositions sans lien direct avec le projet de loi qui ne passeraient pas en bout de course le filtre du Conseil constitutionnel. « Je pense qu’ils sont en train de peser au trébuchet avec Laurent Fabius [le président du Conseil constitutionnel, ndlr] », imagine le sénateur.

« La loi de financement de la Sécurité sociale doit comporter des dispositions ayant une incidence financière plus ou moins directe sur les comptes »

Selon un juriste travaillant pour le compte du Parlement, que nous avons contacté, une réforme insérée par voie d’amendement est bien « techniquement faisable » sur le principe, sous réserve des dispositions. « On peut mettre dans le PLFSS tout ce qui a, et uniquement ce qui a, un impact sur les comptes de la Sécurité sociale. Des mesures portant sur la durée de cotisation, ou encore le minimum de pension seraient recevables. » « La loi de financement de la Sécurité sociale doit comporter des dispositions ayant une incidence financière plus ou moins directe sur les comptes de la Sécu », résume Aurélie Dort, maître de conférences en droit public à l’Université de Lorraine.

L’introduction mesures « paramétriques » ne poserait pas de problème. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la droite sénatoriale à plusieurs reprises ces dernières années, en intégrant à la version sénatoriale du PLFSS un relèvement de l’âge légal de départ en retraite.

Le Code de la Sécurité sociale, modifié par une récente loi organique, liste les dispositions « relatives aux recettes et à l’équilibre général » qui peuvent figurer dans une loi de financement (article LO 111-3), mais également celles qui ont un effet sur les « dépenses des régimes obligatoires de base » (article LO 111-3-8). La loi organique, fixant le cadre des PLFSS, exclut toute mesure touchant aux retraites complémentaires, comme l’Agirc-Arrco par exemple. Une mesure touchant aux régimes spéciaux « pourrait être dedans », nous assure un juriste du Parlement.

« C’est jouable, mais pas souhaitable. Je n’arrive pas à trouver un élément à travers lequel le Conseil constitutionnel pourrait se dédire de toute sa jurisprudence », appuie Anne-Claire Dufour, maîtresse de conférences en droit public à l’Université de Nantes, spécialisée dans les finances sociales.

Une « incertitude importante » quant à l’approche du Conseil constitutionnel

Pour Aurélie Dort, la place des régimes spéciaux dans un tel amendement dépendra de la rédaction retenue. « Si la rédaction du texte se traduit par une suppression des régimes spéciaux dans un objectif unique d’améliorer les finances sociales, cela peut passer. Si en revanche, cela se traduit par une amélioration des droits à prestation et d’une réforme plus générale, cela pourra être censuré », explique-t-elle. « L’incertitude » quant à l’approche des cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel est « importante », selon elle.

Pour ce qui est des éventuelles dispositions relatives à l’emploi des seniors ou aux mesures d’accompagnement pour différents publics en cas d’allongement de la durée de cotisation, le risque juridique serait réel. « Si ce sont des choses qui sont sur l’aménagement de postes de travail, de droit du travail, pour faciliter la vie des travailleurs, ce sera en dehors du champ », explique un juriste parlementaire.

« Il n’y a pas tellement d’obstacle juridique, du point de vue des cavaliers sociaux. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas un risque d’affaiblir la mission constitutionnelle des lois de financement de la Sécurité sociale et le débat démocratique. Leur rôle, ce n’est pas d’impulser des réformes profondes, mais d’être le temps fort des arbitrages financiers. Elles n’avaient pas vocation à être un catalogue de mesures sociales », considère Anne-Claire Dufour.

Une réforme des retraites par voie d’amendement serait une première, puisque chaque réforme de ces dernières années a fait l’objet d’un texte spécifique. Une réforme via le PLFSS serait également synonyme de débats strictement encadrés dans le temps. Comme la loi de finances, un PLFSS est soumis à des délais stricts, précisés par la Constitution. « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance », dispose notamment ce texte fondamental.

En février 2020, le gouvernement avait eu recours au 49-3 pour faire adopter à l’Assemblée nationale son projet de réforme des retraites, après 115 heures de débats. Dans un contexte d’obstruction, les députés n’avaient atteint que l’article 8 d’un texte qui en comptait 65.

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