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Congés payés: la nouvelle règle pour les salariés en arrêt maladie inquiète le patronat

Jusqu'à lors, un salarié de retour d'un arrêt maladie ne bénéficiait que des congés acquis avant d'être malade. La Cour de cassation impose qu'ils continuent d'en acquérir pendant leur arrêt de travail. Cette nouvelle règle inquiète le patronat.

Les salariés en arrêt maladie continuent-ils à acquérir des congés payés pendant leur absence? "Oui", a récemment tranché la Cour de cassation. Cette nouvelle règle annoncée le 13 septembre a été saluée par les syndicats. Mais elle inquiète le patronat qui en redoute le coût et appelle à une clarification juridique.

Le président du Medef, Patrick Martin évalue que pour les entreprises cette mesure pourrait coûter deux milliards d'euros chaque année. Il affirme que ce montant va s'ajouter à une série de mesures qui viennent alourdir le coût du travail en France.

Jusqu'à présent, selon le Code du travail, le salarié de retour d'un arrêt maladie bénéficiait uniquement des congés déjà acquis avant d'être malade, mais aucun jour supplémentaire ne lui était octroyé pendant son arrêt - sauf éventuelle disposition plus favorable prévue dans un accord collectif.

Depuis des années, les syndicats arguaient pourtant que tous les salariés devraient bénéficier d'un tel avantage, en vertu d'une directive européenne de 2003 (2003/88/CE). Cette directive aurait du être transposée en droit français, ce qui n'a jamais été fait. L'État français a été condamné par la Cour Administrative de Versailles en juillet dernier sur ce point, une décision confirmée en appel et en cassation le 13 septembre dernier.

"Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d'absence, même si cette absence n'est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle", impose la Cour de Cassation.

Pour la CFDT, cette décision était nécessaire car les salariés ne doivent pas être "pénalisés" par des arrêts maladie "indépendants de leur volonté".

Effet rétroactif sur plusieurs années

En outre, les vacances, dédiées à la détente et aux loisirs, sont légitimes et utiles après un arrêt maladie, fait valoir Anaïs Ferrer, conseillère juridique à la CGT: "Quand on est en arrêt plusieurs mois, c'est lourd, on ne revient pas en pleine forme", observe-t-elle.

D'apparence technique, l'arrêt de la Cour de Cassation pourrait provoquer un "séisme" dans les services de ressources humaines, commente pour l'AFP Franck Michelet, avocat à Reims, qui a mené ce combat jusqu'à la plus haute instance judiciaire.

Cette décision "s'applique à tous, de manière directe et immédiate", avec en outre un effet rétroactif sur plusieurs années, insiste l'avocat: ainsi un salarié qui a été par le passé en arrêt maladie peut demander à son employeur de lui octroyer - ou de lui payer - des jours de congés dont il a été privé.

Avec 2,5 jours ouvrables de congés acquis par mois travaillé (soit cinq semaines de vacances par an), la différence est peu significative en cas d'arrêt de courte durée, mais elle peut devenir importante lorsque le salarié a été soigné plusieurs mois, voire années, pour un cancer par exemple.

Environ 407,5 millions de journées ont été indemnisées en 2022 par l'Assurance maladie, qui a cependant indiqué à l'AFP qu'elle ne disposait pas de données plus précises quant à la durée de ces arrêts. La nouvelle règle suscite en tout cas l'incompréhension du patronat.

"Une décision choquante"

C'est un "énorme sujet de préoccupation", a commenté le président du Medef Patrick Martin, qui en estime l'impact à "plus de deux milliards d'euros par an" pour le secteur privé, et donc potentiellement six milliards si les entreprises sont "tenues de provisionner et de verser trois années d'antériorité".

Sur le fond, obtenir des congés payés "sans même travailler", c'est "du grand n'importe quoi", s'insurge la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CPME).

"C'est une décision choquante pour les chefs d'entreprise. Beaucoup sont extrêmement remontés", précise à l'AFP Jean-Eudes du Mesnil, le secrétaire général de cette fédération.

Pour le patronat, une "clarification juridique s'impose": indépendamment d'un éventuel dernier recours devant le Conseil constitutionnel, il pourrait revenir au gouvernement de préciser dans la loi les contours et limites de la nouvelle règle, estime-t-il. En attendant, "nous conseillons à nos adhérents de ne pas se précipiter", insiste ce responsable.

En d'autres termes, l'arrêt de la Cour de cassation, pourtant sans "aucune ambiguïté", entraîne "des conséquences tellement importantes que le patronat a décidé de ne pas l'appliquer", ironise Anaïs Ferrer, de la CGT. Les employeurs "espèrent une modification législative qui limiterait sa portée dans le temps, notamment son caractère rétroactif", déplore-t-elle. Pourtant, "c'est un dû", insiste la syndicaliste. Cette nouveauté, soupire-t-elle, "ils auraient pu l'anticiper".

PS avec AFP