POUVOIR D'ACHATMais jusqu’où l’inflation peut-elle grimper en France ?

Inflation : 6 %, 10 %, 30 %… Mais jusqu’où la hausse des prix peut-elle grimper en France ?

POUVOIR D'ACHATVa-t-on finir par payer une boîte de sauce tomate 15 euros, ou l'inflation va-t-elle se calmer un jour ?
L'inflation grimpe, grimpe, grimpe, mais jusqu'à quel sommet ?
L'inflation grimpe, grimpe, grimpe, mais jusqu'à quel sommet ? - Ina FASSBENDER / AFP / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Et c’est un nouveau record en France depuis 1985 pour l’inflation, avec une hausse des prix de 5,2 % sur un an en mai.
  • Une hausse des prix qui duuuuure depuis des mois et qui ne semble pas près de s’arrêter, loin de là.
  • Le pouvoir d’achat des Français va prendre tarif pour un temps, c’est entendu. Mais jusqu’où ?

EDIT : Alors que le gouvernement présente ce jeudi 7 juillet, en Conseil des ministres, son projet de loi sur le pouvoir d'achat, nous vous invitons à relire cet article sur la folle envolée de l'inflation.

Si « coronavirus » était le thème inévitable et monomaniaque en 2020 et 2021, l’inflation est bien partie pour être le tube de l’année 2022. Un hit bien placé depuis janvier, et qui grimpe de plus en plus dans les charts : en mai, les prix ont grimpé de 5,8 % par rapport à l’an dernier en France, soit le plus haut niveau depuis les années 1980.

Mais on ne parle pas ici d’un vulgaire tube de l’été – du printemps, en l’occurrence –, oublié dès que les feuilles mortes tomberont en automne. Car l’inflation est bien partie pour durer tout au long de l’année, voire plus si affinité. La banque mondiale, les économistes et le locataire de Bercy, Bruno Le Maire, tablent tous sur une hausse des prix pendant encore de longs mois. C’est entendu, la chansonnette de l’inflation va nous trotter dans la tête longtemps. Mais concrètement, les prix peuvent monter jusqu’où ? Va-t-on finir par payer une côte de bœuf 50 euros et devoir vider son livret A au moment d’aller faire un plein d’essence ?

Une augmentation des prix, encore et encore

Comme toute histoire, pour saisir la fin, il faut comprendre le début. Cette inflation record vient de trois causes distinctes, liste Marc Touati, économiste et président du cabinet Aux commandes de l’économie et de la finance. Premièrement, un emballement de la demande par rapport à l’offre en sortie des mesures restrictives du Covid-19, vers le début et la moitié de 2021. Secundo, la guerre en Ukraine, aux nombreuses conséquences sur le prix de l’énergie et de l’alimentation, le pays étant l’un des greniers du monde. Enfin, last but not the least, la politique Zéro Covid de la Chine, qui bloque notamment Shanghai et une bonne partie du commerce extérieur du pays. « L’offre mondiale se raréfie, donc tout devient plus cher », résume l’économiste.

Or, pour au moins deux des problèmes cités, les choses risquent d’empirer, prédit Stéphanie Villers, économiste spécialiste de macro : « Xi Jinping ne va certainement pas remettre en cause sa politique Zéro Covid de sitôt. Pour l’énergie et la guerre en Ukraine, l’Europe prévoit de bloquer les exportations de pétrole russes à 90 %. Ensuite, ce sera le gaz ». Les plans B des Européens pour le pétrole ou de gaz se trouvent plus loin et sont plus chers, ce qui devrait encore et toujours augmenter les prix.

« On peut supposer une inflation qui monte à 8 ou 10 % sur l’année en France », estime Marc Touati. Pas nécessairement plus, car « le pays a mis en place de gros freins contre la hausse des prix, et qui montrent déjà leurs effets », avance François Geerolf, professeur d’économie. Citons pêle-mêle les 15 centimes en moins pour l’essence, les gels du prix de l’électricité et du gaz, les aides au secteur agricole. Ainsi, si la France subit 5,2 % d’inflation sur les douze mois écoulés, c’est bien moins que la moyenne des pays européens (8,1 %), preuve que ces dispositifs fonctionnent. « Le gouvernement a annoncé qu’il continuerait à bloquer le prix de l’énergie en 2023 », rappelle aussi François Geerolf, qui s’inquiète néanmoins pour le coût de tels boucliers tarifaires.

Au-delà du cas français, « la Banque centrale européenne a augmenté ses taux d’intérêt, ce qui devrait freiner l’inflation partout en Europe », appuie Stéphanie Villers. Qui voit plusieurs signes de ralentissement économique : « La croissance est en baisse, la consommation des ménages aussi, même le PIB en France… Ce sont des avant-signes d’une économie morose et d’un ralentissement fort de la demande. » Et donc de l’inflation.

Autodestruction et récession

Car c’est le propre de l’inflation : elle finit par s’autodétruire, narre Marc Touati. Les prix deviennent si chers que les produits se vendent moins, ce qui cesse l’augmentation de leur tarif, faute de demande. Par ailleurs, « l’inflation se calcule par rapport à l’année dernière. En 2023, on calculera l’inflation par rapport à une année 2022 qui aura vu une très forte hausse des prix, ce qui fera forcément chuter le pourcentage », explique Stéphanie Villers.

Il existe cependant un scénario qui empêche l’inflation de se faire hara-kiri : l’augmentation des salaires. « Dans ce cas-là, on ouvre une spirale infernale, où puisque les salaires augmentent, les prix augmentent. Et puisque les prix augmentent, les salaires augmentent », avance Marc Touati. Un scénario que semble éviter la France : « Certains salaires augmentent, mais ne rattrapent certainement pas l’inflation », analyse François Geerolf. Enterrement définitif d’une improbable augmentation des prix de 30 % par Stéphanie Villers : « Il n’y a pas de risque d’inflation folle comme dans les années 1980. Les salaires avancent peu, le Smic n’est pas rehaussé, ce scénario est écarté. »

Les prix devraient donc atteindre des sommets inédits depuis des décennies, mais pas des Everest. Reste que même une fois stoppée par la force des événements, l’histoire n’est pas rose. « La fin de l’inflation, ce n’est pas la baisse des prix : ils resteront élevés », rappelle Marc Touati. Avec donc des salaires qui n’augmenteront pas – ou peu. Et comme l’hiver succède à l’été, « après l’inflation, le scénario probable est celui de la récession », conclut l’économiste. Peut-être le tube de l’année 2023 ou 2024. Une chanson pas nécessairement plus agréable à l’oreille que ce hit inflationniste de 2022.

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