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Economie et Social

Le gouvernement peut-il encadrer les mouvements sociaux sans enfreindre le droit de grève?

Le chef de l'État a demandé au gouvernement de réfléchir à un "cadre" pour assurer la continuité des services publics en toute circonstances. En clair, ne pas permettre à des grévistes d'empêcher un service public de fonctionner. Mission impossible?

La grève des contrôleurs de la SNCF conduit le gouvernement à une réflexion dévoilée jeudi par Olivier Véran, porte-parole du gouvernement. En sortie du conseil des ministres, il dévoile une demande du chef de l'Etat.

"Le président de la République a dit qu'il fallait tenir compte pour l’avenir de l’impact de ce nouveau type de mouvement social et a demandé à la Première ministre et aux ministres de réfléchir à un cadre pour assurer la continuité des services publics en toute circonstances", a précisé le porte-parole du gouvernement.

Olivier Véran n'a pas donné de précisions sur ce "cadre" qui pourrait s'apparenter à une remise en cause du droit de grève qui est inscrit dans la Constitution. Cette réflexion destinée à faire face à cette grève et ne pas créer de précédent ne fait que commencer.

"Nous faisons face à quelque chose qui n'existait pas dans notre pays, une grève multi-individuelle couverte par un préavis déposé par des centrales qui elles mêmes n'appellent pas à la grève", a reconnu Olivier Véran.

Une quadrature politique

La spécificité du mouvement qui touche ce week-end la SNCF est qu'il n'est pas encadré par des syndicats mais par un collectif de salariés se déclarant non-syndiqués et apolitiques.

Selon Stéphane Sirot, spécialiste des mouvements sociaux, cette demande présidentielle risque de ne pas pouvoir être satisfaite.

"Le cadre, il y en a un, c'est celui de la loi de 2008 qui a été la première loi votée pendant le quinquennat de Nicols Sarkozy sur le service dit garanti. Dès lors qu'un mouvement est assez massif, elle a des limites très strictes", rappelle ce spécialiste sur BFMTV, en prévenant qu'aller plus loin reviendrait "à limiter le recours au droit de grève".

"On se retrouverait dans une quadrature politique qui voudrait que le droit de grève soit respecté sans engendrer de perturbation, on est là dans une pure contradiction", estime Stéphane Sirot.

Trois solutions?

Trois solutions seraient techniquement possibles pour ne pas que cette situation puisse se reproduire. Mais aucune n'aurait en réalité de chance d'aboutir.

Cette option serait la plus délicate à mettre en œuvre puisqu'il s'agit d'un droit constitutionnel qui risque de déclencher une opposition ferme des partis politiques, des syndicats et de tout citoyen attaché à cette législation.

Une grève comme celle lancée par un collectif anonyme de contrôleurs hors de toutes centrales syndicales peut-elle être encadrée par régime d'exception et de quelles façons? Difficile d'imaginer que l'opposition ou les syndicats laissent passer un texte qui risquerait d'ouvrir la porte à des dérives et diviser la majorité présidentielle. Quelles seraient les exceptions? Quels salariés seraient concernés? Dans quels secteurs? A quelles période de l'année? Autant de questions sans réponse.

Il s'agirait d'ajouter dans un contrat de travail ou dans les conventions collectives de certaines entreprises de se plier à respecter un service minimum. Cette obligation existe déjà à la SNCF. En Île-de-France, au moins 30% des liaisons quotidiennes doivent être assurées et si ce n'est pas le cas, l'entreprise s'expose à des sanctions financières. Et force est de constater que ce dispositif ne fonctionne pas puisque si le nombre de grévistes est élevé, la SNCF ne peut réquisitionner du personnel, même pour assurer un service public.

Et quand bien même elle le pourrait (ce qui n'est pas le cas), elle ne le pourrait pas non plus puisque, à la différence des grèves dans les raffineries, celle de la SNCF ne touche pas la totalité des Français. "Seulement" 200.000 personnes ont vu leur train annulé et la diminution de l'offre des transports constatée ne porte pas atteinte à l'ordre public. Si l'Etat procédait à des réquisitions, il serait à coup sûr débouté par le tribunal administratif.

Anne Saurat-Dubois et Pascal Samama