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Manif pour les salaires, NAO, conférence sociale... le pouvoir d'achat en ligne de mire

Rémunérations | publié le : 11.10.2023 | Benjamin d'Alguerre et Gilmar Sequeira Martins

Manif pour les salaires, NAO, conférence sociale... le pouvoir d'achat en ligne de mire

Manif pour les salaires, NAO, conférence sociale... le pouvoir d'achat en ligne de mire.

Crédit photo Jeff 77 / Adobe stock

C'est le sujet social de cette fin d'année. Comment redonner du pouvoir d'achat aux salariés sur fond d'inflation toujours élevée ? Si pour les syndicats, la martingale reste l'augmentation des salaires et la redistribution des profits, le patronat milite plutôt pour la baisse des charges et la réduction du différentiel brut-net sur la fiche de paie.

La période s’annonce agitée sur le front des salaires. Vendredi, ce sont les syndicats qui ouvriront le bal lors d’une grande mobilisation nationale interprofessionnelle en faveur du pouvoir d’achat, de la hausse des rémunérations et de l’égalité salariale hommes-femmes. Cette journée de grèves et de manifestations, appelée par la Confédération européenne des syndicats et à laquelle se joindront plusieurs organisations étrangères comme l’UIL italienne, la DGB allemande, la TUC britannique, l’USS suisse ou la Diski turque, précédera de trois jours l’ouverture de la conférence sociale sur les salaires organisée, cette fois, à l’initiative du Gouvernement.

Sous la houlette de la Première ministre, Élisabeth Borne, organisations patronales et syndicales y plancheront sur les pistes en vue d'une hausse globale des rémunérations, même si chacun a déjà fixé ses lignes rouges. Ainsi, l’exécutif se refuse à toute idée d’indexation des salaires sur l’inflation ou à une nouvelle hausse du Smic. Une position que partage le patronat, qui veut bien faire des concessions sur l’égalité salariale professionnelle ou le temps partiel subi, mais qui refuse de voir les allégements de charges pour les entreprises conditionnées à des augmentations de salaires. « Il serait juridiquement intenable de sanctionner une entreprise vertueuse à cause des comportements de sa branche », avançait Patrick Martin le 11 octobre à l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale. Sauf que cette conditionnalité, c’est justement ce que réclament, entre autres choses, les syndicats de salariés qui attendent autre chose de cette conférence qu’un rendez-vous manqué…

40 et 45 % du salariat « en grave difficulté »

L’enjeu, c’est surtout le rattrapage d’une inflation qui s’installe dans la durée et qui, après avoir fortement touché les prix de l’énergie malgré la compensation des différents chèques édités par le Gouvernement, atteint aujourd’hui les produits de première nécessité et affecte le pouvoir d’achat. « En 2022, le salaire horaire moyen, en termes réels, a diminué de 2,1 % et le salaire moyen par tête a perdu 1,4 % de pouvoir d'achat. C’est la première fois depuis longtemps que les salariés subissent une telle perte de pouvoir d’achat alors que simultanément les profits connaissent en moyenne une très forte croissance », calcule Antoine Math, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales. Au total, la perte de pouvoir d’achat pourrait se monter à quatre points sur 2021 et 2022, en attendant la consolidation des chiffres de 2023. Une situation d’autant plus mal vécue que, pendant le même temps, les profits des grandes entreprises ont eu plutôt tendance à s’envoler, entraînant, un temps, le débat sur une éventuelle taxation des « superprofits », finalement refusée par le Gouvernement. « Il y a certainement entre 40 et 45 % du salariat qui se trouve en grave difficulté, car le salaire moyen reste faible », juge Jean Grosset, directeur de l’Observatoire du dialogue social de la Fondation Jean Jaurès.

NAO 2024 : les augmentations pourraient attendre 4 %

Dans ces conditions, il est beaucoup attendu des employeurs. Côté branches, l’exécutif se dit prêt à frapper du poing sur la table pour forcer la soixantaine de branches (sur 171) qui affichent encore des rémunérations infra-Smic aux plus bas niveaux de classifications à accélérer le tempo de leurs négociations sur les revalorisations salariales. Voire à organiser des regroupements forcés pour les onze d’entre elles qui sont encore au point mort. Mais du côté des entreprises, un coup de pouce particulier est attendu à l’occasion des négociations annuelles obligatoires (NAO) qui doivent s’ouvrir en cette fin d’année. Du moins pour celles qui y sont astreintes, à savoir les plus grandes. Problème : les augmentations prévues pour 2024 devraient se révéler moins généreuses que l’an passé, avec des hausses salariales qui devraient s’étaler « seulement » entre 3,8 % et 4 %.

Correct… mais loin des + 4,7 ou 4,9 % qui avaient été concédés pour 2023. « Il faut dire que lors des NAO précédentes, les entreprises avaient subi la triple contrainte d’un rattrapage rapide de l’inflation alors que les augmentations avaient stagné à + 2 ou 3 % en 2021 et 2022, d’une injonction de Bercy à se montrer plus prodigues et, surtout, d’un climat social très tendu. Tout le monde se souvient des blocages des raffineries chez Total », se rappelle Erwann Tison, directeur des études de l’Institut Sapiens. Et si certains secteurs, comme la logistique, les services non financiers du tertiaire ou l’énergie, pourraient rattraper un certain retard, les augmentations à venir pourraient se contenter de talonner l’inflation sans véritablement offrir de vrais bonus de pouvoir d’achat aux salariés. C’est encore plus vrai dans les TPE-PME où, faute de véritables NAO, seules les primes défiscalisées et désocialisées (ex « primes Macron », demain « primes de partage de la valeur » selon les termes du projet de loi qui doit être présenté à l’Assemblée nationale à la fin de cette semaine) ont pu permettre aux employeurs de gratifier leurs salariés. En 2022, 25 milliards ont été ainsi distribués aux salariés sous forme de primes. Un chiffre plus élevé que celui des dividendes de l’intéressement ou de la participation, mais qui reste faible comparé aux 600 milliards annuels que représente l’ensemble de la masse salariale en France…

« Les entreprises ont fait le job »

Mais au Medef, on dit « stop ». « Sur les bas salaires, les entreprises ont fait le job en distribuant des primes lorsqu’elles le pouvaient et le Medef a négocié et signé l’accord sur le partage de la valeur », affirme Patrick Martin. Car pour le patronat, l’enjeu de la croissance, c’est aussi celui de la compétitivité des entreprises. Et en la matière, la France est plutôt en perte de vitesse. Selon les calculs de l’Institut Sapiens, la productivité française aurait diminué de 3,5 % depuis 2019. La faute, notamment, à la réforme de la formation de 2018 qui a coupé l’investissement des entreprises dans les compétences et poussé les employeurs à embaucher davantage d’alternants dans leurs effectifs. « C’est un très bon choix pour l’emploi des jeunes, mais un alternant n’est pas aussi productif qu’un salarié », reconnaît Erwann Tison. Une réalité qui poussera plutôt le Medef à avancer, lundi, des pistes de travail en direction de la réduction des trappes à bas salaires plutôt que de pousser vers des augmentations générales. « On pourrait par exemple s’interroger sur la prime d’activité et ses effets pernicieux », poursuit le nouveau patron des patrons.

« Chaque augmentation du Smic coûte très cher aux entreprises alors que leur effet individuel pour les salariés est négligeable. C’est par la réduction des charges sociales sur les salaires que l’on peut obtenir une vraie amélioration du pouvoir d’achat », note Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH. Ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail et aujourd’hui dirigeant du cabinet RH Quintet Conseil, Antoine Foucher imagine un scénario qui verrait la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu et de dix points de cotisations salariales sur les salaires concernés, avec un lissage. Coût estimé de l’opération : 40 à 45 milliards d'euros, qui pourraient être obtenus en supprimant la prime d’activité. À condition de faire avaler cette médecine aux syndicats. Qui, eux, militent plutôt pour une redistribution des profits des entreprises. 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre et Gilmar Sequeira Martins