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Paritarisme : un nouveau départ ?

Dialogue social | publié le : 18.04.2022 | Benjamin d’Alguerre

Après presque quatre mois de négociation, les partenaires sociaux ont accouché mi-avril 2022 d’un projet d’accord national interprofessionnel visant à réaffirmer leur place dans la production de norme sociale après un quinquennat au cours duquel l’État a largement repris la main.

Formation, prud’hommes et désormais paritarisme. En treize mois, les partenaires sociaux sont parvenus à boucler pas moins de trois négociations interprofessionnelles dans le cadre de l’agenda paritaire autonome sur lequel ils s’étaient accordés (sauf la CGT) en mars 2021. Comme si les organisations syndicales et patronales avaient été prises d’une subite fringale de dialogue social après un quinquennat globalement passé au régime sec si l’on excepte les deux négociations de 2020 sur le télétravail et la santé au travail que la pandémie de Covid-19 a imposé à l’agenda de l’exécutif. C’est justement cet éloignement entre démocratie politique et démocratie sociale qui a poussé les partenaires sociaux – à l’initiative de Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, qui n’était pas forcément le plus attendu sur la question – à reprendre la main sur le dialogue social interpro en s’affranchissant de la tutelle de l’État.

Chaînon manquant

Sur ce terrain-là, la négociation qui s’est achevée dans la nuit du 14 avril 2022 est emblématique. D’eux-mêmes, et sans tenir compte de la trêve électorale – même si, de leur propre aveu, les négociateurs auraient préféré boucler avant le premier tour – les partenaires sociaux ont choisi de redéfinir dans un projet d’accord national interprofessionnel (ANI) ouvert à la signature jusqu’au 15 mai (soit à l’issue du congrès national de Force Ouvrière qui verra un nouveau secrétaire général succéder à Yves Veyrier) un certain nombre de règles relatives à la négociation et à la gestion des organismes paritaires, mais surtout à l’organisation interne du paritarisme, qui demeurait dans le flou. "Ce texte introduit le chaînon manquant entre la gestion paritaire et la relation entre démocratie politique et démocratie sociale. C’est un grand moment dans l’histoire sociale de notre pays", se félicitait Éric Chevée, le négociateur de la CPME à l’issue de l’ultime tour de table et de la rédaction du projet d’accord définitif. De quoi combler les trous laissés par le précédent ANI sur le paritarisme en date du 17 février 2012, selon Diane Deperrois, directrice générale d’Axa Santé Collectives et chef de file Medef dans la négociation. "Cet accord donne une nouvelle impulsion au dialogue social. Jusqu’à présent, la démocratie sociale n’existait pas formellement", explique-t-elle.

"Pas question de prendre la place du législateur"

Le texte a beau constituer une réaffirmation de l’indépendance des partenaires sociaux sur leur pré carré social, ses rédacteurs ont cependant marché sur des œufs pour ne pas froisser le pouvoir, notamment législatif. À une première écriture autoritaire mise sur la table par le Medef qui exigeait l’extension immédiate de tout ANI signé et sa transposition fidèle dans la loi, les négociateurs ont fini par préférer une version finale radoucie qui ne prévoit in fine qu’une extension "implicite" d’un accord au bout de six mois si l’exécutif ne s’en est pas saisi auparavant et la mise en place d’un "dialogue argumenté" avec les parlementaires lors des débats sur l’inscription du texte dans le marbre de la loi. "Il n’est pas question de prendre la place du législateur, mais d’instaurer des échanges plus complets avec lui afin que les organisations signataires puissent faire de la pédagogie sur l’accord signé", détaille Pierre Jardon, négociateur CFTC. Une disposition qui laisserait le temps aux partenaires sociaux de revoir leur copie avant que députés et sénateurs ne la retouchent par amendements au moment du débat parlementaire. En somme, une clarification nécessaire pour éviter toute confusion des genres entre démocratie sociale et démocratie politique, confirme Michel Beaugas, de Force Ouvrière : "Il n’a jamais été question que les partenaires sociaux deviennent des colégislateurs, chacun doit conserver la main sur son domaine de compétences."

Un espace de dialogue continu

Pour autant, c’est précisément cette logique du "chacun son métier" qui a conduit les partenaires sociaux à rappeler aux pouvoirs publics leur pleine légitimité à mener la négociation collective dans un cadre légal mis en place par la loi Larcher sur le dialogue social de 2007 dont l’exécutif s’est, depuis, progressivement affranchi. Depuis cinq ans, un sujet cristallise les tensions : celui des "documents d’orientation" que le Gouvernement transmet aux partenaires sociaux avant toute entrée en négociation interprofessionnelle pour fixer le cap des débats qui ont fini par se transformer progressivement en "lettres de cadrage" léonines interdisant aux négociateurs le moindre dérapage en dehors des clous fixés par Matignon et le ministère du Travail, comme en témoigne l’emblématique négociation sur la réforme de l’assurance-chômage de 2017 que l’exécutif a finalement repris en main à 100 % après avoir reproché aux partenaires sociaux de n’avoir pas été capables de se dépêtrer d’un cadre ultra-contraignant.. qu’il avait lui-même fixé ! Bref, c’est à une grande remise à zéro que le texte final des partenaires sociaux appelle : respect des prérogatives de ceux-ci, fin de la préemption de l’État sur leurs domaines et révision du fonctionnement de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP) afin qu’elle redevienne une instance consultative et non une simple chambre d’enregistrement. "Même si nous-mêmes n’avons pas été exemplaires sur l’application de la loi Larcher, on doit revenir à ses fondamentaux", résume Gilles Lécuelle, négociateur CFE-CGC. Et l’un des points sur lesquels les partenaires sociaux se sont montrés particulièrement légers en la matière, c’est justement les dispositions prévues à l’article L.3 de la loi, prévoyant un suivi et une évaluation des accords signés. Un manquement que le projet d’accord prévoit de corriger grâce à la création d’un "espace de dialogue continu" où les organisations syndicales et patronales assureraient ces opérations de suivi et d’évaluation des accords, mais y effectueraient aussi des points d’information réguliers sur la situation économique et sociale du pays, détermineraient la liste des chantiers à aborder et élaboreraient un agenda social annuel rendu public le 31 janvier de chaque année. En clair, l’institution de ce "cadre permanent d’échanges" que la CFTC réclamait depuis des années et pour laquelle le syndicat chrétien s’est particulièrement bagarré dans cette négo.

Rénovation du paritarisme de gestion

Au-delà du paritarisme de négociation, c’est aussi à celui de gestion que s’attaquaient les négociateurs depuis le mois de janvier 2022. Malgré les arguments de la CFE-CGC en faveur de deux textes distincts, le projet d’accord sorti des débats embrasse les deux thèmes et ripoline un certain nombre de problématiques oubliées du précédent de 2012 : formalisation d’une raison d’être pour les organismes gérés par les partenaires sociaux, booster la notion de "service rendu" aux usagers et évaluer régulier sa qualité, assurer la parité femmes-hommes dans les conseils de ces organismes – un vrai sujet d’achoppement pour les "petites" organisations syndicales et patronales dont les effectifs ne suivent pas, renforcer la formation technique des administrateurs et valoriser leur parcours notamment grâce au recours à la VAE… Des sujets souvent renvoyés à des groupes de travail qui étudieront les conditions de leur mise en application. Mais le gros morceau de ce chapitre reste la réforme du financement du paritarisme et la transition d’un système de financement direct des organisations syndicales et patronales par les sept organismes qu’ils dirigent (Action logement, l’Agefiph, l’Agirc-Arrco, l’AGFPN, l’Apec, Certif Pro et l’Unédic) par une nouvelle tuyauterie qui passerait exclusivement par l’Association de gestion du fonds paritaire national (AGFPN) dans un souci de transparence et de facilitation. Le texte prévoit l’ouverture de négociations au sein de la gouvernance paritaire de ces sept instances pour déterminer les conditions de mise en place de ces nouveaux circuits financiers. Reste à savoir ce que l’exécutif sorti des urnes le 24 avril fera de cet accord qu’une majorité d’organisations syndicales et patronales ont d’ores et déjà prévu de signer.

 

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre