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Pourquoi la manifestation du 16 février sera celle des "sous-préfectures"

Deux journées de mobilisation nationale sont déjà prévues, les 16 février et 7 mars. Alors que cette dernière journée marquera un point d'orgue, comment entretenir le mouvement ces trois prochaines semaines?

Mettre à l’arrêt le pays dans tous les secteurs. C’est la menace de durcissement brandie par l'intersyndicale pour le 7 mars prochain si l'article 7 de la réforme des retraites n’est pas retiré par le gouvernement, inflexible sur ce fameux recul de l’âge de départ qui cristallise les mécontentements. Pour cette journée de mobilisation qui se veut massive, les syndicats ont décidé d’attendre la fin des vacances scolaires. C’est qu’il ne faut pas fâcher l’opinion dont, comme le rappellent sans cesse les organisations, la vaste majorité est de leur côté.

Mais avant le 7 mars, il y a la date du 16 février: cette 5ème journée de mobilisation nationale contre la réforme aura lieu ce jeudi, la veille de la fin de l’examen du texte par l’Assemblée nationale, alors que deux zones sont en vacances scolaires. Or, à la veille de cette nouvelle journée de mobilisation, le mouvement montrerait-il des signes d'essouflement? Le trafic SNCF ne sera que légèrement perturbé, avec deux trains sur trois en moyenne au niveau national. En Ile-de-France, même tonalité avec peu de perturbations.

Entre multiplication des manifestations et durcissement du mouvement, les syndicats cherchent à maintenir la pression sur le gouvernement sans démobiliser les gens.

La preuve par le nombre

Pour frapper fort, les syndicats doivent "répéter les mobilisations et qu’il y ait beaucoup de monde", résume Dominique Andolfatto, professeur en science politique à l’université de Bourgogne. Les syndicats doivent montrer qu’ils sont capables de mobiliser en nombre, que le peuple est dans la rue, de leur côté.

Si la manifestation du 7 mars venait à rassembler massivement, dépassant par exemple le seuil des 1,5 million de personnes, ce serait un grand coup qui pourrait changer la donne, dit-il.

Jusqu'à maintenant les journées de mobilisation ont en effet rassemblé entre 750.000 et 1,27 million de personnes d'après les chiffres des pouvoirs publics auxquels Dominique Andolfatto faisait également référence.

“Mais il ne suffit pas de dire aux gens d’aller manifester pour qu’ils se précipitent dans la rue […] Il faut aller les chercher, les convaincre, c’est un travail de fourmis,” souligne Dominique Andolfatto.

Pas facile de rassembler, mais c'est important: le nombre compte et aucune journée de mobilisation n’est négligeable, selon lui. Celle du 7 mars n’éclipse donc pas celle de ce jeudi. Il note tout de même que certaines personnes pourraient “se réserver” pour la journée du premier mardi de mars au dépend de celle du 16 février. De plus, les zones A et B sont en vacances cette semaine, ce qui peut présager d’une mobilisation de moindre envergure. Chaque journée de grève pèse aussi sur leur salaire, dit-il avant d'ajouter que, pour autant, les syndicats ne peuvent pas non plus se permettre de perdre la face ce jeudi.

"Toutes les dates sont importantes"

La CFE-CGC considère que "le pic de mobilisation que l’exécutif et les parlementaires doivent considérer est celui du samedi 11 février, il y a depuis aujourd’hui les zones A et B en vacances scolaires." L'organisation syndicale ne se prononce pas sur l'ampleur du mouvement de ce jeudi mais souligne au contraire que ce sont les chiffres du samedi 11 qui font "référence." La CFDT estime quant à elle que toutes les dates sont importantes, le 16 février autant que le 7 mars.

Les leaders de la CGT et CFDT, Philippe Martinez et Laurent Berger, ont annoncé qu’ils défileraient à Albi (Tarn) le 16 février. Pour Dominique Andolfatto, ce changement de tactique par rapport à la mobilisation précédente où les leaders syndicaux s’étaient retrouvés sur Paris, a été pensée comme une sorte de “révolte des sous-préfectures.” Les syndicats veulent montrer que la province est tout aussi mobilisée que la capitale et les grandes villes. Ils pourront se servir de cette rencontre albigeoise pour communiquer sur l'importance de la grogne dans les plus petites villes au cas où le nombre total de manifestants n’est pas à la hauteur de leur espérance ce jeudi, dit-il.

La communication reste une arme essentielle pour les syndicats comme pour le gouvernement. Mais les syndicats disposent d'une arme encore plus puissante: l'opinion publique.

Au-delà des chiffres, c’est l'opinion publique qui compte

Si trois millions de personnes descendent dans la rue, la Première ministre Elisabeth Borne sort, estime Jean-Claude Ducatte, président du cabinet de conseil EPSY. Une hypothèse peu probable pour l'instant.

Mais pour Jean-Claude Ducatte, l'essentiel n’est pas dans les chiffres, pas dans ceux-là en tout cas.

“Le succès [du 7 mars] sera jugé à l’aune de l’opinion publique générale,” résume-t-il.

Pour Jean-Claude Ducatte, les gens qui défilent depuis plusieurs semaines ne manifestent pas seulement contre la réforme. Ils expriment aussi un “ras-le-bol" général contre le gouvernement. Si l’on suit cette logique, les prochaines manifestations seront donc un succès si elles intensifient le mécontentement, faisant ainsi augmenter le nombre de Français opposés non seulement à la réforme, mais aussi au gouvernement. Cela le mettrait en difficulté lors des élections à venir, poursuit le spécialiste.

Aucune chance que l’article 7 soit supprimé 

Si la réforme des retraites contient une vingtaine d'articles, les syndicats sont vent debout contre un article en particulier: celui qui prévoit le départ de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Or, pour Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du Travail, il n’y a “aucune chance” que l’article 7 soit supprimé. Il est loin, d’ailleurs, d'être le seul à le penser. Autrement, le pouvoir perdrait “toute crédibilité,” explique-t-il.

La stratégie des syndicats plus légalistes -dont font partie la CFDT et la CFE-CGC entre autres- est de maintenir une pression constante sur le gouvernement pour lui faire comprendre “qu’ils le paieront cher aux prochaines élections,” dit Bernard Vivier, en écho aux paroles de son confrère Dominique Andolfatto. Il salue aussi l'unité que les syndicats ont réussi à garder jusqu'ici. Une unité qui tient selon lui car Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, n'a pas initié d'actions plus violentes.

Les syndicats, eux, continuent à y croire. Interrogés par BFM Business, la CFDT et la CFE-CGC ont exprimé leur volonté de continuer le combat jusqu'à suppression de l'article 7. La CFDT a insisté sur le côté responsable des manifestations à venir. Le premier syndicat de France ne souhaitant pas gêner les Français mais les faire marcher contre la réforme.

Olivia Bugault