Areva. 10 ans pour en arriver là...
Nos collègues d’AREVA voient se détériorer sous leurs yeux un outil industriel opérationnel majeur. De “détérioré à détruit”, il faut tout faire pour ne pas franchir ce dernier pas. Nous donnons la parole à Jean-Louis Porcher, Président du SNEPI et DS dans le groupe AREVA.
AREVA est né en 2001 de la fusion entre le CEA-I, (regroupant notamment COGEMA) et Framatome. Le projet industriel de départ était de faire de cette entité le groupe n°1 mondial de l’industrie nucléaire. À l’époque, la situation d’AREVA était très saine, ses activités profitables, et sa trésorerie abondante, rappellent ces jours-ci nos collègues de la CFE-CGC. Notre Fédération, implantée de longue date, y est un acteur légitime ; nos observations y sont reconnues comme telles.
Tout miser sur l’EPR
La première mandature de la Présidente Anne Lauvergeon couvre les années 2001 à 2006. La stratégie mise en place est ce qu’on appelle alors un “modèle Nespresso” : la marge se fait sur le combustible ; la cafetière, (ici comprendre le réacteur), peut éventuellement être vendue à perte. À cette époque, on développe un seul type de réacteur, l’EPR ; pas question de parler d’autre chose ! L’enjeu était de partir d’une feuille blanche pour intégrer l’allemand Siemens dans un partenariat. Ceci faisait en réalité l’impasse sur les compétences spécifiques d’AREVA. En interne le partenariat fut donc très critiqué, l’augmentation de puissance du projet EPR rendant aussi sa conception beaucoup plus complexe. Sans doute la construction européenne a-t-elle des raisons que la raison ignore…
Pour imposer cette stratégie, la direction générale d’AREVA signa le contrat de réalisation de l’EPR finlandais, OLKILUOTO 3 ; mais à des conditions particulièrement désavantageuses, puisque EDF de son côté ne souhaitait pas en commander un identique pour la France. Réaliser le prototype avec EDF, et des autorités de sûreté françaises rodées, aurait été bien plus raisonnable. De plus, l’arrogance de la direction générale d’AREVA, le manque d’écoute du client, ainsi qu’une organisation trop administrative du projet, ont rapidement détérioré les marges, et les relations avec le client.
Détérioration lente, mais implacable
Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Au fil des années les provisions se sont empilées sans réelle maîtrise des dérives constatées.
La deuxième mandature Lauvergeon (2006-2011) aura cristallisé ces difficultés. Changements d’organisation au sein du groupe, structure opérationnelle (BU, BG, …) différente de la structure juridique, auront contribué à une confusion croissante, et favorisé les phénomènes de cour autour de la présidente. Les décisions se sont révélées de plus en plus irrationnelles, toujours plus orientées autour des questions de pouvoir au détriment de l’opérationnel. La gouvernance de l’entreprise refusait d’admettre la réalité, l’arrogance dans les relations avec les partenaires devenait flagrante.
Une forte tendance à la centralisation (la direction préférant le plus pudique “mutualisation”) a contribué à désorganiser les services supports (informatique, achats,…), affaibilissant peu à peu les compétences spécifiques nécessaires au large spectre d’activités du groupe.
Dès l’année 2007, les limites du business model Nespresso sont apparues, tout comme les limites du “tout EPR”. Mais il ne fallait pas le dire. Or affirmons le clairement ; à l’entrée dans l’année 2015, aucun business-model de remplacement n’est disponible. “Modèle intégré”, modèle “one stop shop”, ces appellations sont demeurées des mots vides de contenus. La stratégie menée depuis ce temps n’a été qu’une “fuite en avant”. La communication et les décisions cosmétiques ne peuvent suffire à bâtir un avenir crédible pour une industrie de ce calibre.
Bilan des courses : 7 milliards de perte…
On le voit ces jours-ci. AREVA accuse 7 milliards de perte ; ce qui pose un grave problème pour le remboursement, dès 2016 et 2017. Dans ce dossier 4 milliards sont à mettre au débit du projet OL3.
3 autres milliards viennent du désastre URAMIN. En rachetant aux cours les plus hauts cette entreprise d’extraction d’uranium canadienne, qui s’est révélé un fiasco tant qualitatif que quantitatif, cette opération n’a pas été seulement malheureuse au plan stratégique. Elle a eu de nombreuses ramifications judiciaires, entre écoutes téléphoniques, négociations obscures. Pour l’heure n’en est sorti aucun scandale réel. Mais toute la lumière a-t-elle été faite ?
L’affaire Uramin a aussi mis en exergue la naïveté de l’APE (Agence des participations de l’État), tutelle d’Areva, dont tous les observateurs ont dit qu’elle avait supervisé ce rachat avec une grande candeur, voire une effarante légèreté. Considérant que l’État français contrôle directement ou indirectement 86,52 % du capital d’AREVA, le premier actionnaire étant le Commissariat à l’Énergie Atomique et aux énergies alternatives (CEA), un établissement public, on peine à comprendre comment le rachat d’Uramin a pu se négocier à de tels plafonds, dix fois plus élevés que ce qu’ont déclaré espérer à l’époque les vendeurs. Si aucune malversation n’est apparue, et si les opérations minières comprennent toujours une forte part de risque (tant sur la quantité que sur la qualité de minerai finalement exploitable) cette opération là bat tous les record.
Les salariés en première ligne
Ce tracé de l’historique peut sembler sévère. L’entêtement qui nous y contraint est réellement coupable. Avec près de 5 milliards de perte pour 2014, ce désastre signe une vraie faillite stratégique, que n’atténue pas la moindre responsabilité des salariés. “Ce sont pourtant eux, qui risquent d’en subir les préjudices conclut amèrement Jean-Louis Porcher. C’est du reste déjà le cas : le blocage des salaires est récurrent, la dégradation des conditions de travail va à l’encontre d’un retour à la compétitivité”.
Mieux ! En 2013, AREVA a mené une campagne très incisive, relayée par le management, afin que les salariés acquièrent des actions AREVA. Le directoire, toujours en place aujourd’hui, connaissait alors parfaitement la situation du groupe.