Par Michel de Laforce
« Mortel management, Insupportables pratiques, J’ai fait HEC et je m’en excuse, Petit bréviaire des idées reçues en management, L’Antibible des ressources humaines, La fin du management… La liste est longue des ouvrages, mais aussi des films et autres documentaires, remettant en cause les codes actuels du management », remarque le quotidien économique Les Échos (1). De fait, toute une littérature prospère sur le mal-être au travail. Parmi celle-ci, les manuels de survie au bureau se taillent un beau succès. Or, s’ils posent de vraies questions, ces ouvrages avancent aussi de fausses solutions. Fondées le plus souvent sur le repli, l’esquive ou l’exploitation assumée du système, ces stratégies individuelles, voire franchement égoïstes, ne répondent nullement au malaise des cadres.
La conviction et l’expérience de la FIECI sont d’une nature toute différente ! Pour retrouver du plaisir au travail, l’unique solution consiste à agir collectivement pour retrouver des modes de management sensés, équitables et humains.
Mon boss… ses trucs et ses tics : 25 recettes pour démasquer votre patron ; Objectif Zéro-sale-con ; Petit guide de survie face aux connards, despotes, enflures, harceleurs, trous du cul et autres personnes nuisibles qui sévissent au travail ; Travailler avec des cons, etc. Les manuels de survie au bureau connaissent depuis quelques années un succès qui ne se dément pas. Une telle vague éditoriale décrivant la vie de bureau comme un enfer ne peut bien sûr qu’interpeller les syndicalistes de la FIECI. Elle est en effet un symptôme parmi d’autres du profond mal-être professionnel des cadres. D’autant que, sur un mode satirique, le diagnostic posé par ces ouvrages est souvent juste.
Choses vécues et bon diagnostic
Dans Comment survivre au bureau (sans se faire virer), Christophe Asler identifie ainsi parfaitement les raisons pour lesquelles le travail peut devenir un enfer (2). Ancien salarié et diplômé en histoire et en gestion des entreprises, il sait de quoi il parle. Bien sûr, c’est caricatural ! Mais les scènes rapportées font mouche tant elles rappellent au lecteur des situations vécues.
Stress et sentiment d’inutilité. « On vous apprend que votre présentation Power Point pour la réunion de cet après-midi doit être entièrement remaniée. “Trop de mots… blabla… pas assez de couleurs… blabla… rajoutez ‘synergies’ et ‘pôle d’excellence’… blabla… dans dix minutes dans ma messagerie ou c’est la porte.” Vous assistez impuissant à cette entreprise de démolition en essayant de vous répéter ce mantra favori : “Faire et défaire, c’est toujours travailler” » En quelques mots simples, l’auteur résume bien le désarroi du cadre qui constate qu’on lui en demande plus, mais surtout pour rien !
Changement permanent et injonctions contradictoires. « Inclinez-vous devant le dieu Changement et rendez-lui le culte qui lui est dû ! C’est un ordre ! Crise économique ou surchauffe, fusion, absorption, rachat, arrivée d’un nouveau manager : toute occasion est bonne pour vous faire passer pour un surgelé de chez Ed, toujours à vingt-quatre heures de sa date de péremption. Comment pouvez-vous vous obstiner à rester vous-même lorsque votre chef vous imagine en robot multifonctions qu’il suffit de reprogrammer pour lui faire faire le contraire de ce qu’il faisait hier ? » Car c’est bien cela le pire dans le changement : il s’accompagne toujours d’une dévalorisation de ce qui était vanté hier, si bien que plus rien ne finit par avoir de sens…
Absence de reconnaissance et objectifs irréalisables. « C’est bien connu, on ne parle jamais des trains qui arrivent à l’heure, alors cessez de penser que l’on devrait vous être reconnaissant pour la simple raison que vous avez atteint vos objectifs. […] Cette totale absence de gratitude pourrait être un signe de confiance si l’on ne vous faisait pas constamment sentir que ce n’est pas suffisant. » Car bien sûr, il faut en faire toujours plus ! Jusqu’à l’absurde : « Aider une souris naine à accoucher d’une montagne est le genre de tâches que vous faites en dehors des heures de travail. Le reste du temps, vous êtes trop occupé à transformer le plomb en or et des souillons en reines du bal. »
Cannibalisation de la vie privée. « Dimanche dernier, tandis que vous étiez tranquillement calé sur votre canapé, votre BlackBerry s’est mis à sonner. Un rapide coup d’œil à l’écran vous a rapidement confirmé votre sombre pressentiment : “Mon boss.” […] On ne peut donc jamais vous laisser tranquille ? Ben non. Autant vous faire une raison : votre boss considère votre vie privée comme des heures supplémentaires non payées. Et dire que vous n’avez rien vu venir lorsqu’on vous a proposé de remplacer votre téléphone fixe par un portable… La bonne blague. À l’étage de la direction, “téléphone portable” se dit “bracelet électronique”. »
Fausses solutions individualistes
On pourrait ainsi multiplier les exemples à l’infini. Comme la plupart des manuels de survie au bureau, celui de Christophe Asler vise juste : là où cela fait mal ! Mais, arrivé au terme de ce jeu de massacre parfois un peu facile bien que jubilatoire, les remèdes proposés ne sont hélas pas à la hauteur du diagnostic. Si l’auteur a raison de rappeler que la démission, le changement de service ou d’entreprise, voire la réorientation professionnelle sont souvent des solutions illusoires, ses propres préconisations, même présentées avec humour, ne sont pas davantage satisfaisantes.
On s’épargnera ici de recenser les recettes proposées pour se contenter d’en illustrer l’esprit délétère. Il tient tout entier dans cette déclaration d’intention que l’auteur croit alléchante : « Votre boss vous considère comme un être rampant et invertébré ? Il est largement temps de lui donner raison. À partir d’aujourd’hui, vous êtes une larve, bien déterminée à s’aménager une petite planque quatre étoiles dans le fruit appétissant de la grande entreprise ». Et chaque manuel d’égrener sa liste de trucs et astuces pour en faire le moins possible. Problème ! Non seulement ces solutions relèvent du magasin de farces et attrapes managériales, mais elles ne sont que la traduction d’un individualisme confinant à l’égoïsme le plus abject. La méthode vise en effet à se la couler douce aux dépens de l’entreprise et de ses collègues. Autrement dit, il s’agit de se comporter en parasite. Même teintée d’humour, la potion est amère.
Le seul antidote de l’engagement syndical
Faut-il le préciser ? Cette façon de faire ne saurait satisfaire les cadres et elle est aux antipodes de l’action syndicale telle que la conçoit la FIECI. Pour notre confédération, les solutions aux dérives actuelles du management ne peuvent être individuelles. Elles passent nécessairement par une réflexion et une mobilisation collective associant, dans un dialogue constructif, toutes les parties de l’entreprise. Elles se traduisent non par un retrait égoïste et sournois mais par un engagement altruiste au service de tous et même de l’entreprise, tant il est vrai qu’un management humain et équitable est toujours profitable aux organisations. Enfin, last but not least, l’action syndicale ne propose pas aux salariés de se comporter comme des “larves”, mais au contraire de relever la tête et d’affirmer d’un même mouvement leur dignité et celle de leur travail. Voilà une leçon que devraient méditer les directions qui font tout pour ne pas avoir d’interlocuteurs syndicaux ! En refusant un franc dialogue social, elles favorisent les comportements parasitaires mortels pour leur entreprise. Face aux problèmes de management, le seul antidote valable reste, encore et toujours, l’action syndicale !
(1) Les Échos, 08/10/09.
(2) Comment survivre au bureau (sans se faire virer), par Christophe Asler, Éditions Hors Collection, 178 p., 15 €.
EXTRAITS
Un juste diagnostic – « En fouillant dans un vieux dossier, vous venez de tomber sur une photo du pot de départ de Jean-Mi, ce collègue avec qui vous avez partagé tant de bons moments. C’était en 1993, avant l’arrivée des quatre cavaliers de l’Apocalypse (un changement de direction). Votre service se composait encore d’une quinzaine de personnes. Les visages sont plutôt détendus, souriants… un retour de vacances ? Ben non, c’était au mois de décembre. Vous vous frottez les yeux et regardez autour de vous. Derrière des piles de dossiers émergent de temps en temps quelques figurent blêmes, quatre au total, les yeux rougis par le manque de sommeil. Que de changements en seize ans ! Sans parler de la charge de travail, qui a été multipliée par trois…»
Comment survivre au bureau (sans se faire virer), par Christophe Asler, op. cit.
L’impasse du repli égoïste – «Première mission : alléger votre charge de travail ; imposer un régime minceur à votre agenda pour ne plus crouler sous les kilos de dossiers qui alourdissent votre bureau et vous empêchent de prendre de la hauteur. Comment ? Grâce à nos tactiques de délestage. Les huit tactiques que nous allons vous présenter ne sont pas de simples modèles théoriques. Elles se basent sur des cas réels d’hommes et de femmes qui ont déjà dit : “Non, pas pour moi, merci”. Tous ont développé une telle maîtrise du délestage que la notion de travail ne recouvre plus pour eux qu’une réalité diffuse, passablement archaïque et toujours associée à leurs collègues et collaborateurs. »
Comment survivre au bureau (sans se faire virer), par Christophe Asler, op. cit.
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