par Michel de Laforce
La discrimination dans l’accès aux postes d’expatriés peut avoir de lourdes conséquences sur la carrière des femmes cadres. Cette discrimination repose en grande partie sur des préjugés concernant les rapports des femmes à la mobilité et leur capacité à s’adapter. Sauf dans de rares cas d’exceptions culturelles, leur acceptation sur le terrain ne pose pas problème. Et leurs performances sont comparables à celles de leurs confrères. Il appartient donc à un syndicat comme la FIECI de remettre en cause ces préjugés. Un sujet crucial alors que la mobilité des cadres est un vecteur fondamental du développement international des organisations.
15 % de femmes cadres parmi les expatriés
Premier constat : « Les femmes représentent aujourd’hui, en moyenne, la moitié des actifs dans les pays occidentaux (1) », note Olivier Mérignac, maître de conférences en gestion des ressources humaines. 60 % des diplômés en sciences sociales dans les pays de l’OCDE sont des femmes. Elles ont autant, si ce n’est plus, de diplômes de niveau universitaire que les hommes. Elles s’impliquent dans des carrières stables et démontrent leurs compétences de cadres. Second constat : les entreprises recherchent en permanence des cadres internationaux qualifiés pour assurer des postes d’expatriés. On pourrait donc s’attendre à ce qu’hommes et femmes jouent « à armes égales dans le processus de sélection des expatriés ». Or il n’en est rien.
De nombreuses études montrent que les femmes représentent à peine 15 % des cadres expatriés. Cette discrimination est lourde de conséquences dans leur cursus professionnel. En effet, « l’expatriation est un facteur déterminant dans le processus de détection des cadres à haut potentiel, futurs dirigeants des organisations ».
La sélection : mythes et présupposés
Divers outils permettent aux DRH de sélectionner des candidats selon un « portrait-type », mêlant capacités techniques et capacités relationnelles. Ces outils, qui devraient être le plus objectifs possible, seraient en réalité imprégnés de préjugés tenaces :
• Premier mythe : les femmes ne seraient pas motivées pour s’expatrier. Elles seraient moins ambitieuses que les hommes et hésiteraient à faire des sacrifices personnels. Elles ne se reconnaîtraient pas dans l’image de « l’expatrié aventurier » et de « l’expatrié explorateur » – alors même que la plupart des postes se situent dans des pays occidentaux.
• Deuxième mythe : « une femme, une fois en poste à l’étranger, ne pourrait pas mener à bien sa mission car elle ne serait pas acceptée par les hommes » avec lesquels elle devra travailler. Les DRH généralisent le manque d’ouverture des hommes du pays d’accueil – confondant un peu vite Oslo et Le Caire, une plate-forme off-shore et un laboratoire pharmaceutique…
• Troisième mythe : la femme est fragile, moins adaptable et moins armée face aux difficultés
La prise de décision au sein de la cellule familiale
L’étude menée par Olivier Mérignac aboutit au constat suivant : les femmes cadres s’expatrient soit entre 20 et 30 ans, alors qu’elles sont célibataires ou sans enfants, soit après 41 ans. Et seules les femmes célibataires font jeu égal avec les hommes.
Dans un couple à double carrière, « l’équilibre plus ou moins stable obtenu par le couple dans la gestion des deux carrières et de la sphère familiale est remis en question par la proposition d’expatriation qui rend obligatoire la confrontation des deux carrières ». Et là, comme le constate une cadre : « Le calcul est vite fait : mon mari gagnait presque 50 % de plus que moi. » Là encore, les stéréotypes restent très forts : « La structure du marché de l’emploi, le salaire plus élevé du mari ou ses gains potentiels estimés, l’image sociale du patriarche dominant, attribuent un potentiel plus fort à la carrière de l’homme qui sera le plus souvent mise en avant par le couple ».
D’où l’intérêt du témoignage exceptionnel d’une femme ingénieur suivie par son mari en Afrique. Un choix non-conformiste fondé sur d’autres valeurs que la seule réussite professionnelle. « L’envie de partir à l’étranger était là. Nous avions envie que nos enfants découvrent la vie ailleurs. C’était un choix culturel, explique-t-elle. Alors on a tous les deux postulés pour l’étranger dans nos entreprises. Nous avions décidé que le premier qui aurait le poste entraînerait l’autre. Le 12 avril, on me proposait un poste en Afrique et le 13 avril, c’était lui. Nous avons mûrement réfléchi et nous avons décidé ensemble que j’allais accepter ce poste. Une condition de taille pour maintenir notre équilibre familial était que mon mari trouve un travail là-bas. Aussi nous avons pris des contacts pour lui avant de partir (2). »
Les femmes expatriées : battantes et performantes !
Différentes études montrent que « les femmes ne présentent pas des taux d’échec plus élevés que leurs collègues masculins ». Bien sûr, elles rencontrent « plus de difficultés dans les pays où la culture locale des affaires se révèle très masculine ». Mais, comme le constate une cadre, « une fois qu’on le sait, on fait avec » ! Des conflits et des situations difficiles, elles en ont rencontré tout au long de leur carrière et sont souvent « aguerries dans la gestion des discriminations ».
Voici comment une cadre expatriée analyse sa réussite : « Un jour, j’ai entendu un client dire que j’étais sûrement très brillante. Lorsque je lui ai demandé ce qu’il voulait dire, il m’a répondu que si une femme avait de telles responsabilités, c’est qu’elle était forcément très brillante. » De plus, les femmes cadres expatriées transmettent, de par leur simple présence, un message fort dans les pays moins ouverts au travail féminin.
Quelques pistes pour dépasser les clivages
Pour la FIECI, cet exemple de l’expatriation est symptomatique : pourquoi les cadres devraient-ils dupliquer indéfiniment des comportements stéréotypés ? Peut-on envisager des parcours de réussite qui tiennent compte de la diversité des choix de vie ? Un management qui contraint les femmes cadres à penser leur carrière sur le seul modèle masculin démontre en effet une rigidité et un manque d’imagination fort préjudiciables. Pour nous, syndicalistes cadres de la FIECI, les cadres devraient avoir le choix de faire carrière « autrement ».
Bien sûr, nous soutenons nos collègues pour qu’elles puissent accéder à des postes d’expatriés dans tous les pays où elles ne sont pas exclues des affaires. Mais, si l’entreprise considère l’expatriation comme un passage obligé pour accéder au top management, elle doit aussi faire preuve de cohérence. Notamment en matière de salaires. Promouvoir l’égalité des salaires des cadres hommes et femmes dès l’embauche et tout au long de leur carrière, permet en effet de supprimer un point d’achoppement lors d’une prise de décision concernant une expatriation. Le choix du couple devient de fait un choix privé, qui ne relève plus de présupposés professionnels. Quant à la lutte contre les préjugés dans l’entreprise, qu’ils soient sexistes ou non, c’est un des grands engagements de la FIECI !
(1). Les femmes dans le processus d’expatriation, par Olivier Mérignac, Revue « Travail, genre et sociétés » n°21, La Découverte, 25 € – (2) Témoignage sur le site http://www.femmexpat.com, néanmoins plus tourné vers les conjointes d’expatriés.
EXTRAITS
Briser le plafond de verre – « La discrimination dans l’accès aux postes d’expatriés peut avoir de lourdes conséquences sur la carrière professionnelle des femmes. En effet, accéder à une expérience à l’international est aujourd’hui un passage clé de la carrière d’un cadre visant une évolution hiérarchique verticale. L’expatriation est un facteur déterminant dans le processus de détection des cadres à haut potentiel, futurs dirigeants des organisations. Les plans de carrière des cadres repérés à potentiel intègrent une mobilité internationale importante pour permettre aux managers de développer leur expertise interculturelle et internationale. Des compétences qui, dans les grandes entreprises, sont ensuite nécessaires pour accéder aux postes de cadres dirigeants. En limitant l’accès des femmes aux postes d’expatriés, on les condamne de fait à un plafonnement rapide et inexorable de leur carrière, loin des niveaux hiérarchiques décisionnels. »
Les femmes dans le processus d’expatriation, op. cit.
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