par Michel de Laforce
En novembre dernier paraissait un sondage TNS Sofres Altedia portant sur plus de mille personnes interrogées le mois précédent (1). Sa lecture permet de mieux cerner les attentes, les déceptions et les espoirs des salariés. Elle montre combien la crise a accéléré le regard négatif porté par ces derniers sur le système actuel.
Un exemple : 61 % de l’ensemble des salariés et jusqu’à 50 % des cadres, estiment que dirigeants et salariés ont aujourd’hui des intérêts divergents. Pour la FIECI, face à cette rupture, il est urgent de recréer de la confiance entre salariés et em-ployeurs. Il faut remettre l’homme au centre du discours sur le travail, sur l’entreprise et sur l’économie. Il est temps de raccommoder un pacte social déchiré. Au bénéfice des salariés comme des entreprises.
Pourquoi la crise financière, économique et sociale a-t-elle abouti à une crise de confiance ? Comment combler le fossé qui se creuse entre salariés et employeurs ? Pourquoi de telles différences entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites structures ? Jusqu’où va la rupture entre salariés et employeurs ? Telles sont quelques-unes des questions que l’on se pose à la lecture de l’enquête réalisée par TNS Sofres.
Une profonde rupture entre salariés et employeurs
Xavier Lacoste, directeur général d’Altedia, la société de conseil en ressources humaines pour laquelle a été réalisée cette enquête l’affirme brutalement : « La rupture entre salarié et employeur est consommée » (2). Un exemple : s’agissant des conflits du travail, 2/3 des salariés et même 43 % des cadres se disent compréhensifs à l’égard de l’emploi de méthodes musclées.
S’agit-il seulement d’un passage à vide, lié à la gravité de la crise ou d’une rupture durable ? La prési-dente du Medef, Laurence Parisot, tirant les enseignements de ce sondage dans une interview aux Échos (3), a déclaré que, s’agissant du secteur privé, « l’idée d’un divorce entre les salariées et les en-treprises est une idée fausse ». Une déclaration pour le moins surprenante au vu des résultats de l’enquête…
De la crise de confiance au rejet du système
Les chiffres récoltés par les enquêteurs de TNS Sofres confirment en effet les informations que nous recevons de la part des représentants de la FIECI dans les entreprises. Ils décrivent en effet une grave crise de confiance et l’approfondissement du fossé entre les dirigeants et les salariés. On y apprend notamment que :
• 58 % ne font pas confiance à leurs dirigeants.
• 61 % estiment que les intérêts des dirigeants et des salariés ne vont pas dans le même sens.
• 59 % pensent être perdants dans leur relation au travail.
• 45 % se sentent menacées dans leur emploi…
Les salariés sortent méfiants de la crise. Et cette méfiance débouche sur un rejet massif du système ac-tuel. En effet, pas moins de 75 % des salariés interrogés estiment que la crise a prouvé que les paramètres existants apportent plus de problèmes que de solutions. La quasi-totalité d’entre eux se dit choquée par au moins l’une ou l’autre des caractéristiques de ce système. Ainsi, les termes de « profit », de « mondialisation », de « capitalisme » sont-ils désormais massivement associés à des évocations négatives.
Explosion du mal-être au travail
Au sein du monde du travail, cette méfiance se traduit bien évidemment par un profond sentiment de mal-être. Les salariés estiment :
• qu’ils manquent de reconnaissance et de perspectives d’avenir ;
• que leur employeur ne se comporte pas toujours de façon responsable à leur égard ;
• que leur situation professionnelle se dégrade.
« Ces résultats, peut-on lire dans l’étude d’Altedia, sont nettement plus critiques que ce que nous avions pu mesurer cet été dans une grande enquête « avant/après » la crise (4), étude qui mettait néanmoins en évidence un mal-être diffus et une certaine perte de sens. » Cruel constat : alors que la crise était une opportunité de remédier collectivement aux dysfonctionnements du système pour dé-boucher sur un nouveau pacte mobilisateur, rien n’a été entrepris. Dès lors, le fossé continue de se creuser dangereusement !
Le refus d’un management déshumanisé
Pourtant, cette dégradation ne relève nullement de la fatalité. L’étude TNS Sofres démontre ainsi que les salariés de petites entreprises ont un ressenti très différent de celui des grandes organisations. Si la fonction publique d’État et l’industrie, pour des raisons très différentes, cristallisent le mal-être, en revanche, dans les très petites entreprises, 61 % des sondés estiment que leurs intérêts et ceux de leur pa-tron se rejoignent. « Simple effet de la proximité du dirigeant ou moindre exposition aux modes de fonctionnement de l’économie actuelle ? », s’interroge Altedia. Poser la question, c’est y répondre ! À l’évidence, la crise de confiance résulte, pour une grande part, de la déshumanisation de l’entreprise et du management qui, par nature, touche moins les petites structures.
D’autres résultats en témoignent. Ainsi, la quasi-totalité des cadres portent haut les valeurs solidarité (93 %) et de partage (92 %), démontrant ainsi qu’ils n’en restent pas aux légitimes revendications salariales. Ils souhaitent aussi et surtout faire renaître les véritables collectifs de travail que le management actuel a déstructurés voire totalement détruits.
Pour une grande réforme du management
C’est là une aspiration que les cadres et les élus de la FIECI connaissent bien et qu’ils ne manquent jamais de relayer auprès des directions d’entreprises, mais aussi dans la société tout entière. Il convient en effet de prendre la réelle mesure du problème en réalisant que la crise de confiance ne pourra être résolue par des mesures à la marge. Pour la surmonter, il ne suffira pas que la croissance revienne, et avec elles les profits et les primes qui y sont associés. Le malaise actuel des salariés et des cadres se si-tue à un tout autre niveau. Il traduit un rejet profond que la crise n’a pas créé mais seulement exacerbé et révélé. Pour le surmonter, il n’est d’autre solution que de lancer, comme le souhaite la FIECI, une grande réflexion visant à renouveler en profondeur les modes de management en vigueur dans les en-treprises. C’est ainsi, en fondant un nouveau pacte managérial et social que le malaise actuel pourra être surmonté, pour le plus grand bénéfice des salariés, mais aussi des entreprises.
(1) Salariés et sortie de crise, sondage TNS Sofres Altedia, octobre 2009, www.tns-sofres.com.
(2), (3) Salariés et employeurs : la crise de confiance, un dossier paru dans Les Échos du 30 novembre 2009.
(4) La santé mentale, l’affaire de tous, novembre 2009, Secrétariat d’État chargé de la Prospective et du Déve-loppement de l’économie numérique, www.strategie.gouv.fr.
EXTRAITS
Une crise est managériale – « Ce sondage montre qu’une cassure s’est produite entre les salariés français et leurs employeurs. […] Tout cela constitue autant d’ingrédients d’une crise managériale, dont il est sans doute un peu tôt pour savoir si elle est simplement conjoncturelle, mais qui semble en tout cas assez profonde. »
Leïla de Comarmond, Les Échos op. cit.
La reconnaissance sociale est nécessaire – « Tout salarié a fondamentalement besoin de reconnais-sance sociale : on veut bien travailler beaucoup, mais à condition que l’entreprise nous valorise. Le salaire, les primes, les bonus, ne sont qu’une petite part de cette reconnaissance. Les salariés man-quent cruellement de petits gestes simples au quotidien, des félicitations, des encouragements… beaucoup ont le sentiment que leur avis n’est jamais pris en compte ni même sollicité. C’est très démobilisant. »
Michel Lallement, sociologue, Les Échos, op. cit.
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