Par Michel de Laforce
« Les coopératives, les mutuelles, les associations et les fondations concernent, en France, plus de la moitié de la population, emploient plus de 2 millions de personnes et représentent plus de 10 % du produit intérieur brut (1) », rappelle Thierry Jeantet, directeur général d’un groupement économique européen qui rassemble 25 millions de sociétaires. Il nous a semblé intéressant, en tant que syndicalistes cadres de la FIECI, de voir comment l’approche de l’économie sociale débouchait sur une dynamique sociétale plus globale, dans ses dimensions civiques et environnementales. L’économie sociale est « investie dans la quasi-totalité des champs d’activité », de l’agriculture aux assurances, de l’artisanat aux services à la personne, en passant par le commerce équitable et la banque.
Les cadres, disent les manuels de management, y ont gagné en autonomie. Cependant, celle-ci a une contrepartie douloureuse : l’isolement, la précarité et, de plus en plus fréquemment, le déclassement. Face à un tel processus, il est urgent de bâtir un nouveau « travailler ensemble » plus équitable. Faute de quoi, c’est la société entière qui risque de s’écrouler.
Un ensemble à forte valeur humaine
L’économie sociale est un héritage des divers mouvements de solidarité et d’émancipation nés au XIXe siècle. Elle en a gardé un fonds commun de principes :
• Un souci permanent de mettre l’Homme au cœur des préoccupations,
• La libre initiative collective,
• La démocratie – dans la mesure où « la notion de pouvoir est déconnectée de la propriété d’un capital »,
• La juste répartition des excédents,
• L’indivisibilité totale ou partielle des fonds propres. Ce qui a donné « une dimension durable aux entreprises de l’économie sociale, dont le rythme de fonctionnement et de vie se distingue de celui des entreprises traditionnelles »,
• La solidarité,
• La promotion de l’individu, dont il convient de faciliter l’insertion dans la société « en tant qu’acteur, producteur ou consommateur, apporteur d’idées autant que de temps, certainement en tant que citoyen ».
Revenue sur le devant de la scène dans les années 1980-1990, l’économie sociale a précisé ses objectifs pour les adapter aux nouvelles problématiques :
• « Elle est un mouvement », dans lequel le social est de plus en plus entendu dans son acception sociétale,
• Elle repose sur des initiatives autonomes de personnes, regroupées autour d’un projet, dans le secteur privé,
• « Elle suppose une implication des personnes à la fois comme membres et comme salariés ou usagers », qui sont « conduites à gérer ensemble sur une base égalitaire »,
• « Elle repose sur un système de propriété collective librement choisie », favorisant la « répartition équitable des richesses entre producteurs, distributeurs et consommateurs »,
• « Elle est considérée, sinon comme une alternative unique aux modèles économiques dominants, dans tous les cas comme une source d’alternatives ».
L’économie sociale face à la crise
« Plus que jamais, la notion de “société de personnes”, par opposition aux “sociétés de capitaux”, prend tout son sens » dans la crise, note Thierry Jeantet : « parmi les multiples facteurs de la crise figure une distanciation accrue entre les attentes citoyennes, d’une part, et les lieux – financiers et économiques – de décision, d’autre part ».
Une opinion partagée par Hugues Sibille. Pour le président de l’Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (l’Avise), « la crise conforte les entreprises de l’économie sociale (2) ». Pourquoi ? Parce qu’elles « ont comme principales caractéristiques de limiter la rémunération du capital, de conserver leurs excédents financiers et d’impliquer leurs sociétaires. Elles privilégient une rentabilité à long terme, contrairement à l’obsession, largement répandue, des gains immédiats qui mènent droit dans le mur ». En un mot, parce que leurs valeurs inspirent confiance aux salariés, aux partenaires et aux clients !
Comment valoriser cette approche sociétale
L’économie sociale a, en quelque sorte, joué un rôle précurseur en faisant la promotion de deux grandes préoccupations :
• la responsabilité sociale et environnementale (la RSE),
• et la croissance durable.
Comme le remarque l’auteur de l’ouvrage, « c’est sous les pressions diverses – mais se conjuguant – des syndicats, des consommateurs, d’organisations non gouvernementales, mais aussi d’actionnaires et d’entrepreneurs eux-mêmes que de plus en plus d’entreprises mettent en avant, outre leurs objectifs de profit, des considérations sociales, écologiques ou même civiques, telles que le respect des salariés, des fournisseurs et sous-traitants, ou encore de l’environnement ».
L’économie sociale se voit aujourd’hui conférer « un rôle (voire un devoir) d’inspirateur et de pionnier dans le débat ». Elle a élaboré des outils permettant d’évaluer la RSE en interne et sans avoir recours à des agences de notation. Le Centre des jeunes dirigeants et acteurs de l’économie sociale (CJDES) a ainsi défini les ambitions du Bilan sociétal®, qui a pour finalité :
• de mesurer comment sont atteints les « objectifs pluriels » de l’entreprise (au-delà des excédents et de l’accroissement du marché),
• d’impliquer tous ses acteurs et ses partenaires,
• d’augmenter sa transparence,
• d’engager des actions « visant à améliorer l’efficacité sociale, environnementale, mais aussi citoyenne de la coopérative, de la mutuelle ou de l’association, donc à accroître sa valeur ajoutée ».
Pour nous, syndicalistes cadres de la FIECI, ce sont bien la protection et la défense du salarié qui signent le véritable engagement de l’entreprise dans ce domaine (voir notre note « La responsabilité sociale de l’entreprise et la défense des salariés »).
Économie sociale et syndicalisme : quelles convergences ?
En prenant de l’ampleur, certaines organisations comme les banques coopératives ou les mutuelles d’assurance ont du mal à préserver les grands principes fondateurs. Elles doivent maintenir leur fonctionnement démocratique de proximité, et éviter de se banaliser. Il convient donc de rester pragmatique : « tantôt considérée comme une alternative au système économique dominant, tantôt comme une sorte de complément de celui-ci, l’économie sociale ne peut faire l’objet d’une idéalisation excessive », note l’auteur. Il serait donc trop rapide de penser que l’économie sociale et les syndicats sont toujours sur la même longueur d’ondes. Néanmoins, il ne nous échappe pas que les mutuelles, coopératives et associations sont des secteurs en pleine croissance, porteurs d’emploi prisés des salariés. Parce que, en défendant des valeurs autres que le simple profit, elles répondent à une recherche de sens et d’humanisation des activités économiques.
(1) Économie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, par Thierry Jeantet, La Documentation française, 200 p., 14,50 € – (2) Le Parisien Économie, 08/06/09.
EXTRAITS
Une volonté d’entraide sociale – « L’économie sociale qui se veut démocratique, équitable et solidaire, et qui tente de répondre, en Europe et dans le reste du monde, aux besoins des consommateurs, des salariés et des citoyens, a des racines profondes et multiples. Celles-ci plongent dans un passé lointain où les hommes et les femmes pratiquaient l’entraide localement ou dans leur milieu professionnel : entraide villageoise ou sur des chantiers (comme ceux des cathédrales) ; entraide à l’occasion des principales périodes d’activités agricoles (travaux accomplis en commun) ; solidarité face à des catastrophes naturelles, à la maladie des gens comme du bétail ; communautés et corporatismes nés de la pratique d’un même métier. […] Les individus et les familles cherchent déjà à se lier face aux incertitudes climatiques ou accidentelles, à s’organiser pour supporter une charge de travail et réguler des relations nées de l’exercice d’un métier. Ainsi, peu à peu, ruraux et urbains ont inventé des modes de solidarité, de secours, de répartitions des risques surtout, de “résistance” aussi. »
Économie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, op. cit.
Une action régulatrice – « L’économie sociale est donc un trait d’union solide : entre les individus eux-mêmes, s’auto-organisant ; entre ces individus, regroupés au sein de l’économie sociale, et les autres collectivités que sont l’État lui-même, les régions, les départements, les communes. Elle peut être à l’origine d’un nouveau modèle de pacte social. L’économie sociale doit d’autant plus aller en ce sens qu’elle a pour principe de mettre en accord les différents partenaires et parties prenantes des coopératives, des mutuelles, des associations ou encore des fondations, que ce soit pour élaborer ou pour vérifier le projet qui les rassemble ; pour traverser des périodes d’accélération ou de crise ; pour, tout simplement, agir ensemble. »
Économie sociale, la solidarité au défi de l’efficacité, op. cité
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