Par Michel de Laforce

Les promesses n’engagent que ceux qui y croient, notamment en économie. Et là, les chiffres ont tendance à gonfler comme ballons de baudruche… A quelle logique répondent les « bobards économiques » (1) démontés pièce par pièce par Hervé Nathan et Nicolas Prissette ? Qui brasse de l’air, qui manipule, qui tire profit de ces campagnes de désinformation ? Tout en dénonçant les balivernes à la mode, ces deux journalistes lancent un plaidoyer en faveur d’une information économique enrichissante, détaillée et fiable.
La magie des grands nombres

Premier exemple d’un chiffre « absolument bidon » : 2,5 millions, soit le nombre d’emplois du secteur automobile en 2007. Pour Hervé Nathan et Nicolas Prissette, tous deux journalistes économiques, ce chiffre est le résultat d’un montage destiné à frapper l’opinion. Aux 298 000 salariés des groupes automobiles et de leurs sous-traitants, un rapport du Conseil économique et social avait ajouté divers métiers – de l’assureur à l’ambulancier du pompiste au policier. Soit 1,8 million de personnes. Bien sûr, tous ces métiers touchent à l’automobile. Mais seraient-ils tous impactés par une défaillance des constructeurs français ? Les auteurs en doutent. Pourtant c’est bien ce nombre – 2,5 millions – qui a permis aux constructeurs automobiles français de faire valider par l’opinion un plan de sauvetage gouvernemental de 7,8 milliards d’euros. Et les auteurs de se demander : « Quelle branche de l’économie peut prétendre à une telle position, et donc réclamer un soutien de même nature ? » Aucune. Exemple type, donc, d’un « bobard économique », un vrai cas d’école !

La mondialisation, « en dépit de la perception négative qu’en a l’opinion publique (2) »…

Pris en étau entre des intérêts contradictoires, le cadre est touché de plein fouet par certaines de ces balivernes. Il en est ainsi du leit-motiv « La France est gagnante dans la mondialisation ». Or, l’ouverture des frontières a créé un courant d’air souvent fatal aux intérêts des salariés. Résultat : « dans un marché mondial bêtement idéalisé, des pans entiers de l’industrie disparaissent », constatent les auteurs. De restructuration en restructuration, « plus de 2 millions de personnes en France ont un employeur établi hors de nos frontières. Soit un salarié sur sept ». Employeur qui, en période de crise, se sent moins concerné par la survie de ces salariés lointains… Parallèlement, « les multinationales tricolores ont créé pas moins de 31 000 filiales et emploient 6 millions de personnes à l’international. Oui, 6 millions de salariés, soit un tiers de l’emploi privé dans l’Hexagone ! » Que se serait-il passé si ces entreprises avaient produit ici et vendu là-bas ? Peu de chômage, des comptes publics en bonne santé, une croissance économique attractive : un cercle vertueux – en lieu et place du piège qui se referme sur nos concitoyens.

La Bourse ? 3 % par an au XXe siècle

C’est un calcul fait par l’Insee en 2002 sur le rendement des sociétés françaises entre 1913 et 2000. Alors, pourquoi préférer la corbeille aux grilles du Loto ? Notamment parce que banquiers et gouvernements ont orienté l’épargne populaire vers les actions, en faisant miroiter des gains exceptionnels. Des gains qui, à part de très rares « gros coups » médiatisés, se sont révélés sans commune mesure avec les performances des entreprises. « Les arguments ? Renforcer l’actionnariat des multinationales françaises, donner des moyens de développement aux entreprises, prévoir sa retraite, etc. Qui serait contre ? » Tout simplement celui qui aurait raisonné et pris sa calculette…

Les auteurs le concèdent : « Le CAC 40 a été multiplié par deux entre 2003 et 2007. » Mais, pour eux, cette « création de valeur » n’était qu’un artifice, pour répondre à un autre diktat : « la fameuse norme du rendement à 15 % des capitaux investis ». Or, « à quoi correspond un rendement de 15 % quand l’économie progresse entre 1 et 5 % par an seulement ? » Une question éludée par des tours de passe-passe : « Pour entretenir l’illusion d’une fabuleuse rentabilité financière, les ‘grands patrons’ ont accordé aux actionnaires toujours plus d’argent – au détriment de leurs investissements et de leurs salariés. » Ce que les syndicalistes cadres, bien placés pour savoir d’où proviennent les performances des entreprises, ont vigoureusement dénoncé.

Il est urgent de revenir sur terre !

En effet, nul ne peut prédire l’avenir ! Les projections – économiques, démographiques ou climatiques – doivent toutes être maniées avec précaution. Les indicateurs sont au rouge, cela clignote de partout ? Raison de plus pour être prudent ! Le syndicaliste cadre doit veiller à ne pas se laisser déborder par les emballements médiatiques.

Le syndicalisme cadres que nous défendons se tient à l’écart des partis pris idéologiques et des invectives. Il est dangereux de penser que « certains arguments ne se discutent pas ». Cette mainmise sur les idées est contraire à tout idéal démocratique. Nous devons faire en sorte que chacun puisse s’exprimer et justifier des positions, dans des débats ouverts et respectueux. « L’économie, déclinaison du pouvoir économique et social, mérite de vraies discussions contradictoires dont une démocratie du XXIe siècle s’honorerait », concluent Hervé Nathan et Nicolas Prissette. Le meilleur antidote à l’idéologie et à la pensée unique reste le « travail distancié et vérifié ». Une réflexion posée, fondée sur des données étayées, rend le discours crédible. C’est la raison d’être de ces chroniques : faire le point, engager la réflexion, trouver des pistes d’action.

(1) Les bobards économiques, par Hervé Nathan et Nicolas Prissette, Hachette, 206 p., 15,90 €.
(2) Mondialisation : les atouts de la France, par le Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2007, www.cae.gouv.fr .
EXTRAITS

Les stock-options, de l’or qui sent le soufre… « Les stock-options sont des ‘menottes dorées’ autour des poignets des managers. Elles assurent les actionnaires que les personnes à qui ils confient leurs entreprises gèreront celles-ci avec comme priorité absolue le cours de Bourse, bien avant l’emploi, les salaires, voire les investissements, puisque la rémunération principale du dirigeant viendra désormais de la différence entre le prix de l’option et le cours de Bourse. Évidemment, personne n’ose imaginer que le système revient aussi à donner la clé du poulailler au renard. Car qui mieux que le PDG ou le DG de l’entreprise connaît le meilleur moment pour vendre l’action, lorsque l’entreprise est en ‘haut de cycle’, le moment où les profits sont au maximum, avant de retomber ? »
Les bobards économiques, op. cit.

Des experts ? Quels experts ? « L’ouverture des frontières aux biens et aux capitaux n’a donné lieu à aucun débat démocratique. Le dialogue, si l’on peut dire, s’est réduit à un face-à-face entre les altermondialistes, souvent anti-industrialistes, et les élites, qui ont négligé la lecture de Maurice Allais. Celui-ci écrivait dans les années 1990 : Comment la nouvelle doctrine du libre-échange mondialiste a-t-elle pu s’imposer alors qu’en réalité elle n’a entraîné que désordres et misères dans le monde entier ? Il y a sans doute à cela trois raisons essentielles : un enseignement erroné dans toutes les universités du monde, une funeste confusion entre libéralisme et laisser-fairisme, la domination des multinationales américaines. »
Les bobards économiques, op. cit.