
Par Michel de Laforce
Tous les dix ans, le sociologue Bernard Cathelat explore les mentalités de nos concitoyens, tente de décrypter leurs évolutions. Il les synthétise lors d’une étude qui fait souvent beaucoup parler. Sa dernière analyse souligne un fait nouveau, la vive exaspération d’un nombre considérable de salariés.
Mettre en évidence des grandes familles de comportements, naturellement influencés par les contextes économiques et sociaux du moment, c’est la mission que s’assigne depuis trente ans Le Centre de Communication Avancée, dont Bernard Cathelat est la tête pensante (les méchantes langues disent parfois le “gourou”). Plus qu’une photographie instantanée, ces chercheurs prétendent dessiner des tendances fortes ; ce qu’ils appellent des “socio-styles”. Rappelez-vous, il y a vingt ans : les “décalés”, s’opposant aux “recentrés”… Puis les
“entreprenants” face aux “conservateurs”…
Les “libéraux libertaires”, les “éthiques”, les “bourgeois bohèmes” devenus bobos… Toutes ces catégorisations, dont certaines passent dans le langage quotidien, sont issues directement ou indirectement des travaux du CCA.
Les critiques n’ont pas toujours été tendres ; on reproche notamment à Cathelat de nier l’existence des “classes sociales”, qu’il remplace par des catégorisations surtout destinées aux réflexions des experts du marketing. Son approche a toutefois ce réel mérite : faire émerger des tendances lourdes à côté desquelles passent le plus souvent les sondages, qui se focalisent généralement sur l’instant “t”.
Ainsi sa dernière synthèse, parue en novembre 2009. Elle compare la société (la France ?) à un bateau où cohabitent trois familles. Il y a d’abord les “Corsaires”. Ce sont des individualistes, volontiers entrepreneurs, parés pour toutes les compétitions, revendiquant un état d’esprit “moderne” que résumerait cette devise : “chacun pour soi”. La compétition au sein même d’une équipe, comme dans le show de télé réalité Koh Lanta, a tout pour plaire à ces Corsaires. Au travail, peut-être ne fait-il pas toujours bon les avoir comme collègues…
La deuxième famille, ce sont “les Flotteurs”, peu ou prou les anciens “conservateurs”, qui continuent de croire aux missions de l’État Providence ; dans le travail, ils attendent de leur entreprise un rôle protecteur. Volontiers soumis à leurs hiérarchies, ils espèrent voir cette bonne volonté récompensée par le maintien de leur emploi. Inutile de dire qu’en période de mondialisation
et de restructurations permanentes, ces attentes peuvent être souvent déçues !
C’est à ce stade que l’analyse du CCA dessine la vraie nouveauté. À côté de ces deux familles déjà croisées sous d’autres noms, émergent en effet les “révoltés du Bounty”. Qui sont-ils ? Ce sont les “bons petits soldats”, tous ceux qui ont joué le jeu, et se sentent aujourd’hui floués.
Ils ne supportent plus guère les méthodes de management tyranniques ou manipulatrices. Ils ont le sentiment de subir, de courber l’échine, tandis que leur emploi, leur vie professionnelle et personnelle, sont toujours plus menacés.
Le plus frappant est qu’ils constituent aujourd’hui, selon le CCA… 40 % des salariés ! Et vous ? Vous sentez-vous corsaire, ou révolté ?
Certains décideurs, politiques, grands patrons, entendront ils le message que leur envoie ici l’étude ?
Ou prendront-ils le risque de voir pour de vrai à quoi ressemblerait une vraie Révolte de ces matelots ?
Avec un tel équipage de mécontents, -40 %- !… on en vient même à se demander si cette croisière désabusée sur le Bounty n’aurait pas plutôt la destinée… du Titanic.
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