Par Michel de Laforce
2009 sera-t-elle une année noire en matière de sécurité et de santé professionnelle ? C’est ce que craint l’Organisation internationale du travail (OIT). « Dans le contexte de crise économique et financière mondiale actuel, la situation risque de se dégrader », avertit-elle. Pour conjurer cette perspective, de nombreuses initiatives sont prises, à commencer par l’élaboration d’un nouveau Plan Santé au travail pour 2010-2014. Bien entendu, les membres de la Fieci y prendront toute leur part. Ils souligneront notamment que les cadres ne sont pas moins concernés que les autres catégories de salariés par les nouveaux risques professionnels. Et aussi que ces risques résultent avant tout de l’évolution de l’organisation du travail.
« Il y a fort à craindre que le ralentissement mondial de l’économie aura des effets négatifs risquant de mettre en danger la santé et la sécurité de millions de travailleurs. D’éventuels compromis trouvés au détriment de la santé et de la sécurité pour des raisons économiques pourraient déboucher sur une hausse du nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles. (1) » Publié à l’occasion de la journée mondiale du travail, le communiqué de l’Organisation internationale du travail est venu confirmer les craintes ressenties sur le terrain par de nombreux salariés et responsables syndicaux. En temps de crise, la tentation existe, chez certains employeurs, de faire passer au second plan les questions de santé et de sécurité. Quant aux salariés, notamment les catégories les plus précaires, ils risquent de s’en accommoder plus facilement, au motif qu’avoir du travail serait déjà une aubaine…
Comme si la santé se négociait au même titre que le salaire !
Élaboration d’un nouveau Plan Santé au travail pour 2010-2014
Face à de telles perspectives, des initiatives sont toutefois lancées pour sensibiliser le monde du travail et relever le niveau d’exigence de l’État. Ainsi, le 30 avril dernier, à l’occasion de l’installation du nouveau Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT), le ministre du Travail a fait part du volontarisme de l’État. « Il y a encore beaucoup trop d’insécurité et de souffrances liées aux conditions de travail », a estimé Brice Hortefeux. Et de lancer : « Nous ne pouvons plus nous contenter de simples améliorations, le temps est maintenant venu de changer de dimension. (2) » Concrètement, cela se traduira par l’élaboration « en étroite concertation avec les partenaires sociaux » d’un nouveau Plan Santé au travail pour la période 2010-2014.
À ce stade, trois chantiers prioritaires ont été proposés par le ministre du Travail :
• La réduction des cancers professionnels dont on comprend l’importance, puisque « chaque année, entre 4 000 et 9 000 cas de cancer auraient une origine professionnelle ».
• La lutte contre les troubles musculo-squelettiques (TMS) « qui représentent près de 75 % des maladies professionnelles reconnues par la Sécurité sociale et 736 millions d’euros de frais couverts par les cotisations des entreprises ».
• Et enfin, la prise en compte des risques psychosociaux. « Je pense aux troubles liés au stress excessif, ainsi qu’au harcèlement et aux violences au travail, voire aux suicides au travail. Le coût social du stress et des violences au travail, qu’il s’agisse d’antidépresseurs ou de journées d’arrêt-maladie, est évalué entre 800 millions et 1,2 milliard d’euros », a déclaré le ministre.
Nouveaux risques professionnels : les cadres en première ligne
Pour la Fieci, ce dernier point est capital. En effet, les risques auxquels sont exposés aujourd’hui les travailleurs ne sont plus les mêmes qu’il y a dix ou vingt ans. « Le travail évolue… les risques professionnels aussi », souligne l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) en préambule de la Sixième semaine pour la qualité de vie au travail qui se déroule partout en France du 11 au 19 juin 2009 (3). Et les experts de préciser l’ampleur du mal : « Depuis une vingtaine d’années, le stress au travail est apparu comme l’un de ces nouveaux risques. Selon la quatrième enquête de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail réalisée en 2005, 22,3 % des salariés européens souffrent de problèmes de santé liés au stress d’origine professionnelle. »
Dans les semaines, les mois et les années à venir, les élus et représentants de la Fieci veilleront donc à ce que ces nouveaux risques professionnels frappant singulièrement les cadres ne soient pas minorés. Ils feront notamment valoir avec vigueur deux considérations capitales :
• Les risques affectant la santé mentale, morale voire psychologique des salariés ne sont pas moins importants que ceux affectant leur santé physique. Comme le souligne à juste titre le docteur Bernard Salengro (CFE-CGC), « il n’y a pas de hiérarchie dans les maladies professionnelles : elles traduisent toutes un non-respect de la physionomie humaine. Le stress, c’est un TMS des neurones » (4).
• Les risques psychosociaux ne doivent pas être abordés sous un angle compassionnel. Il ne s’agit pas de plaindre ou de déplorer, ni même de traiter les effets, mais de s’attaquer aux causes du mal. Or, comme le rappelle l’ANACT, celles-ci se situent « dans le travail lui-même : surcharge de travail, relations tendues, déficit de soutien de l’encadrement, manque de reconnaissance, organisation complexe, etc. » (5).
L’action syndicale bonne pour la santé des cadres et… pour celle des entreprises !
Comme elle l’a toujours fait, la Fieci refusera donc l’approche strictement médicale voire palliative des risques psychosociaux à laquelle se réfèrent encore certains milieux patronaux. Elle rappellera au contraire que ces risques ne peuvent être combattus en ignorant les problèmes de management et d’organisation du travail qui en sont à l’origine. Et elle sera d’autant mieux fondée à le faire que, de la sorte, elle ne jouera pas la santé des cadres contre celle des entreprises. En effet, améliorer l’organisation du travail contribue aussi à faire progresser les performances économiques. Ainsi conçue, l’action syndicale n’est pas seulement bonne pour la santé des cadres, mais aussi pour celle des entreprises. Voilà pourquoi la crise ne saurait en aucun cas être prétexte à une réduction des exigences en matière de santé et de sécurité professionnelles !
(1) www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/documents/publication/wcms_105147.pdf
(2) Le discours du ministre du Travail est consultable in extenso sur le site www.travail-solidarite.gouv.fr
(3) La Sixième semaine pour la qualité de vie au travail dispose d’un site internet dédié : www.qualitedevieautravail.org
(4) Travail & Changement N°325, mai-juin 2009.
(5) www.qualitedevieautravail.org
EXTRAITS :
La crise aggrave le stress professionnel – « En cette période de crise, a déclaré le ministre, je souhaite également redoubler d’effort face aux troubles suscités par un stress excessif. Nous sentons tous que, dans le contexte actuel, les incertitudes économiques, les tensions accrues sur le management et le bouleversement des organisations de travail qui accompagnent les restructurations risquent d’accroître les tensions. Sur ces sujets, j’entends promouvoir et faire connaître les outils et les bonnes pratiques. »
Discours de Brice Hortefeux, ministre du Travail, 30/04/09, op. cit.
Les causes structurelles du stress professionnel – « Le malaise au travail, souvent traduit par du stress, est une réalité. Il correspond à une transformation profonde du travail et de son environnement. On assiste, en effet, à une contradiction entre une entreprise exigeant davantage de performance et de qualité et des salariés en quête de plus de reconnaissance et d’autonomie. En parallèle, les modalités de régulation collective s’affaiblissent et l’entreprise se trouve au coeur de changements permanents. Ce nouveau contexte met au jour des tensions de plus en plus souvent supportées directement et individuellement par les personnes. Celles-ci ont le sentiment de ne plus assurer « un travail de qualité ». Ces tensions peuvent aboutir à des troubles psychosociaux, source de mal-être pour les individus, d’absentéisme, turn-over, et baisse de la qualité pour l’entreprise, nuisant à sa performance. Pour prévenir les troubles psychosociaux, il est nécessaire d’identifier les exigences contradictoires excessives, porteuses de stress. »
Site Internet de la Sixième semaine pour la qualité de vie au travail, op. cit.
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