Par Michel de Laforce
« Des mains un peu baladeuses, une invitation à partager sa chambre, une demande de se lever pour mieux apprécier les formes d’une employée… » Rapporté par Libération (1), ce comportement récurent d’un haut responsable bancaire, dénoncé par les syndicats, témoigne de la persistance des attitudes sexistes au travail. Auteur d’un « Rapport sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes » pour le gouvernement, Brigitte Grésy leur a consacré un ouvrage (2). Son constat est sans appel : tandis que des lois volontaristes font progresser l’égalité entre les hommes et les femmes, sur le terrain, dans les relations de travail, le sexisme persiste, à tous les niveaux de la hiérarchie des entreprises et des administrations. Pour l’auteur, changer les lois ne suffit donc pas. Il faut aussi changer les mentalités. Nul ne doute que les syndicalistes cadres de la FIECI peuvent y contribuer de façon déterminante.
Le sexisme au travail n’a pas nécessairement une face de mufle. Brigitte Grésy a recensé ses mille visages. Ils « peuvent emprunter des modes très différents, allant de l’arrogance à une certaine grossièreté ou vulgarité, en passant par une apparente correction, laquelle peut exclure plus sûrement qu’une attaque frontale. Mais ils flirtent sans cesse avec leurs cousins germains, qui, eux, tombent sous le coup de la loi, que ce soit le harcèlement sexuel et moral ou les injures caractérisées. » Tout le problème est là. Échappant le plus souvent à toute définition légale, les comportements sexistes relèvent de ce que Bourdieu appelait « l’infiniment petit de la domination ». Il s’agit de « micro-attaques qui excluent sans choc délibérément frontal et laissent donc l’agressée dépourvue des moyens de rétorsion ou de contre-attaques connus ». Micro-attaques donc, mais mega-dégâts ! Car les victimes décrivent leurs blessures avec les mêmes mots que les salariés, hommes ou femmes, victimes de harcèlement. Elles se disent « désorientées, démunies, déroutées, déstabilisées, dépourvues… »
Le syndicaliste cadre face aux diverses manifestations de sexisme
Dès lors, comment faire pour lutter contre ces ravages ? La première tâche consiste à mieux connaître cet adversaire insidieux. À cette fin, Brigitte Grésy en a dressé un classement exhaustif auquel chacun pourra se référer pour débusquer les comportements sexistes sur son lieu de travail.
Le sexisme à l’égard des subordonnées. Bien sûr, le sexisme prospère volontiers sur le terrain des rapports hiérarchiques qui, par nature, mettent le subordonné en état d’infériorité. Il se confond alors avec l’attitude perverse des « petits chefs » d’antan. « La morgue, l’arrogance, la condescendance, voire le mépris sont des grands classiques du sexisme ordinaire. » Preuve que le sexisme n’est qu’une des formes particulières de la sujétion qui peut frapper tous les salariés, Brigitte Grésy y adjoint un certain paternalisme dévoyé qui « sous couvert de protection institue une forme de contrôle et de domination ». Plus brutal, le dénigrement est également pratiqué de façon courante. Il se nourrit paradoxalement des progrès de l’égalité entre hommes et femmes. Puisque ces dernières sont désormais nos égales, plus question de courtoisie, le supérieur se sent le droit de dénigrer librement et publiquement sa collaboratrice. Parfois cela dégénère en obstruction. Ainsi de ces dirigeants qui « donnent à leurs secrétaires des consignes insuffisamment claires ou délibérément irréalisables, pour humilier subtilement et parfois publiquement la malheureuse, impuissante à répondre à la demande ». L’objectif : rétablir par des moyens détournés et pervers, les rapports de domination qui ont été officiellement exclus dans les relations professionnelles.
Face à ces comportements, le rôle du syndicaliste de la FIECI coule de source. Il s’agit, finalement, de défendre ses collègues femmes contre les abus de pouvoir dont elles peuvent être victimes. Même si ces abus prennent une forme particulière du fait de la différence de sexe des protagonistes, il s’agit d’un terrain connu : celui des dérives qui peuvent se produire dans l’expression d’un pouvoir hiérarchique.
Le sexisme à l’égard des supérieurs hiérarchiques. Toutefois, le sexisme peut aussi s’exercer à l’égard des femmes occupant des postes à responsabilité. Ici, le sexisme est encore plus difficile à débusquer car « il se cache derrière un discours qui masque des réticences extrêmes à voir les femmes accéder à de hautes fonctions ». L’obstruction et le dénigrement peuvent alors provenir, assez classiquement, des collègues occupant le même niveau hiérarchique qui se sentent menacés par l’intruse. Mais il arrive aussi que les comportements sexistes se manifestent parmi les subordonnés. Par nature, les attaques sont alors moins faciles à identifier. « L’impossible attaque frontale des femmes-chefs, quand ce qu’on leur reproche est indicible, conduit les sexistes ordinaires à des remises en cause de leur autorité fondées sur des techniques d’exclusion plus subtiles : manifestation de solidarité affichée et quasi clanique des hommes, rétention d’information, regards qui se dérobent, allusions voilées à des failles de management liées au sexe, etc. », explique Brigitte Grésy.
Dans cette configuration, la tâche du syndicaliste cadre est plus délicate. Il s’agit en effet, lors d’un conflit larvé ou déclaré de bien distinguer ce qui, chez les subordonnés, relève de la défense légitime de leurs intérêts et ce qui constitue l’expression de préjugés. Or, les deux peuvent cohabiter. Ainsi lorsqu’une femme-chef réveille, par son management effectivement détestable, les vieux démons du sexisme… Dans ce cas, le rôle du syndicaliste cadre de la FIECI consiste à refuser le glissement des critiques sur le terrain sexiste et à inlassablement recadrer les termes du conflit. D’une certaine façon, il s’agit de s’en tenir fermement à la bonne vieille règle de refus de personnalisation des conflits. Il s’agit là aussi d’un principe d’efficacité, la personnalisation débouchant le plus souvent sur des crispations et des blocages préjudiciables à tous.
L’égalité homme-femme, un chantier pour le syndicalisme
Face au sexisme au travail, le syndicaliste cadre doit donc se montrer, comme en toute occasion, exemplaire. Toutefois, son rôle ne saurait s’arrêter là. Pour lutter contre les stéréotypes sexistes, il faut aussi mener des politiques volontaristes visant à permettre aux femmes de se trouver bien dans leur travail. Brigitte Grésy le reconnaît : « Rien ne pourra bouger dans notre société en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, sans des politiques volontaristes et d’envergure. Au-delà de l’aventure individuelle, le jeu collectif est essentiel. » La FIECI doit bien évidemment prendre toute sa place dans ce vaste chantier. Il s’agit notamment de soutenir les réformes permettant à tous les salariés – hommes et femmes – de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Notre fédération défend ainsi le droit des salariés hommes à bénéficier également d’aménagements horaires leur permettant de mieux vivre et assumer leur rôle de père. Car, pour la FIECI, la meilleure façon lutter contre les stéréotypes sexistes consiste probablement à défendre les droits des salariés sans distinction de sexe.
(1) Libération, 18/09/2009
(2) Petit traité contre le sexisme ordinaire, par Brigitte Grésy, éditions Albin Michel, 245 p., 15 €.
EXTRAITS
Une spirale de tension et d’humiliation – « Envers le personnel d’exécution, le sexiste ordinaire ajoute parfois une dose de sadisme dans la relation de travail, destinée à déstabiliser l’autre pour assurer son pouvoir. C’est un peu la revanche du fort sur le faible, quand le fort, malmené lui aussi dans des rapports professionnels souvent très compétitifs, reporte sur plus faible que lui les frustrations accumulées. Les secrétaires peuvent jouer ainsi le rôle de soupape de sécurité pour réguler à bon compte la tension de ces messieurs. Double sottise évidemment puisqu’en pressurant leurs assistantes, celles-ci deviennent moins performantes et qu’eux-mêmes, en se contentant d’une parodie de règlement des conflits, passent à côté d’une véritable mise à plat de la situation qui les affecte. »
Petit traité contre le sexisme ordinaire, par Brigitte Grésy, op. cit.
Les lignes bougent – « Cela bouge, y compris chez les hommes, les plus jeunes il est vrai. Le syndrome d’Atlas, qui pousse à porter le monde sur ses épaules et à associer virilité et combat dans le monde du dehors, finit par épuiser les plus énergiques. Et ils se retrouvent floués de n’avoir pas vue leurs enfants grandir, quand la belle organisation à laquelle ils ont tout sacrifié les licencie sans délai. La virilité change d’atours et de postures. »
Petit traité contre le sexisme ordinaire, par Brigitte Grésy, op. cit.
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