Par Michel de Laforce
« Les Français sont, parmi les Européens, ceux qui considèrent le plus que le travail est très important. Mais ils sont aussi ceux qui disent le plus qu’ils aimeraient que le travail prenne moins de place dans leur vie. » C’est le paradoxe français qu’explore Dominique Méda dans son dernier ouvrage*.
Selon la sociologue, cette contradiction apparente s’explique par le décalage existant entre le travail tel qu’on le souhaite et tel qu’il existe vraiment.
D’où la nécessité d’une « révolution du travail ».
Son objectif ? Faire en sorte que les aspirations des Français ne soient plus déçues. Comment ? En améliorant les conditions de travail et les relations sociales, mais aussi en articulant mieux vie professionnelle et vie privée.
À la lecture du dernier livre de Dominique Méda, les clichés en prennent un coup ! En s’appuyant sur un grand nombre d’enquêtes, la sociologue démontre en effet que, contrairement à une idée reçue, les Français sont, parmi les Européens, ceux qui manifestent le plus grand attachement au travail. Quand 70 % des Français affirment que le travail est « très important » pour eux, seuls 40 % des Britanniques ou 50 % des Allemands disent de même. Autrement dit, c’est dans l’Hexagone que la valeur travail est la mieux partagée.
Les Français plébiscitent la valeur travail…
L’expression « valeur travail » est bien celle qui convient. En effet, pour une forte majorité de Français, le travail représente bien plus qu’un moyen de gagner sa vie. 60 % d’entre eux déclarent « qu’ils continueraient à travailler même s’ils n’avaient pas besoin d’argent ». À l’évidence, les Français attendent du travail bien plus qu’un salaire. «À partir du moment où l’on aborde la question de “l’intérêt intrinsèque accordé au travail”, la France se distingue nettement des autres pays européens. » Selon l’International Survey Social Programme (ISSP), 65 % des Français déclarent cet aspect « très important ». Pour Dominique Méda, ces résultats tendent à démontrer que « les Français ont des attentes extrêmement fortes en matière de réalisation de soi et d’expression de soi dans le travail ».
Montée des aspirations « post-matérialistes »
Or, cette tendance appelée à se renforcer avec l’arrivée des jeunes générations sur le marché du travail. En effet, conformément à ce que constatent les cadres de la FIECI sur le terrain, les motifs de revendication des salariés français portent de plus en plus fréquemment sur la qualité du travail et le style du management. « Lorsque 68 % des Français disent accorder beaucoup d’intérêt aux opportunités d’apprentissage et d’évolution, les jeunes, eux, sont 78 % à le déclarer. Quant à “l’intérêt du travail”, les Français sont 91 % à le plébisciter, les jeunes 96 %. Enfin, si 71 % des Français valorisent la qualité et la densité de l’environnement social et relationnel de leur activité, les jeunes sont 73 % à le faire ». Les Français et singulièrement les cadres souhaitent certes un bon salaire, mais, plus encore, ils aspirent à un bon travail.
Une forte déception à l’égard du travail réel
Toutefois, « cette position vraiment très spécifique de la France, ce plébiscite en faveur du travail, qui réjouira tous ceux qui craignaient un effondrement de la valeur travail, va de pair avec un désir, tout aussi fort, de voir le travail occuper moins de place dans leur vie ». Car sur ce thème aussi, les Français sont les champions d’Europe ! Selon, l’European Value Study, près de 50 % des Britanniques, des Belges et des Suédois souhaiteraient que le travail prenne moins de place dans leur vie. En France, le même souhait est partagé par 65 % de la population. Comment expliquer un tel paradoxe ? Pour Dominique Méda, la clef réside dans « le décalage qui existe entre l’idéal et le réel ». Plus précisément ce serait notamment « les mauvaises conditions de travail et le climat social dégradé qui pousseraient les Français à accorder moins de place au travail dans leur vie. ».
Plusieurs enquêtes viennent corroborer cette explication. Ainsi, selon les enquêtes ISSP, seuls « 52 % des salariés français estiment que leur relation avec la direction est “bonne”, alors que cette proportion atteint plus de 60 % dans tous les autres pays de l’Union européenne des Quinze, et près de 80 % en Allemagne, en Irlande et au Portugal. » De même, 57 % estiment que leur implication professionnelle n’est pas reconnue par leur hiérarchie. Au final, c’est en France que la satisfaction au travail est la plus faible en Europe. Seuls 30 % des Français se déclarent satisfaits de leur vie professionnelle.
Refuser la résignation, améliorer le travail !
Pour résoudre cette insatisfaction collective, Dominique Méda identifie deux attitudes possibles. La première consiste, pour les Français, à faire le deuil des attentes qu’ils placent dans le travail et de ne plus y voir qu’un moyen de gagner sa vie. La seconde attitude, qui a naturellement sa préférence – et aussi la nôtre, bien entendu – est aux antipodes de cette résignation. Elle consiste à engager toutes les réformes nécessaires pour que le travail tienne ses promesses. Elle passe notamment par une refondation du management, un profond changement de l’organisation des entreprises et un renouvellement du dialogue social.
Plus concrètement, Dominique Méda suggère notamment de promouvoir les organisations apprenantes « plus ouvertes à la formation en permanence, à l’autonomie et donc à la prise de responsabilité des salariés » qui, du coup, « exercent le plus souvent des tâches complexes, non monotones, non répétitives et subissent peu de contrainte de rythme ». Elle propose aussi une meilleure intégration des salariés dans la gouvernance des entreprises, ou encore l’amélioration des politiques publiques et d’entreprise visant à permettre une meilleure articulation des vies professionnelle et privée.
Mises bout à bout, ces mesures dessinent effectivement une véritable révolution du travail. Il n’est pas interdit de penser qu’elle puisse bénéficier sinon d’un consensus, du moins d’un large soutien. En effet, tout le monde a intérêt à ce que les Français s’épanouissent réellement dans leur travail. Cet objectif pourrait même constituer le cœur le nouveau pacte social dont la France a besoin.
* Travail : la révolution nécessaire, par Dominique Méda, Éditions de l’Aube, 93 p., 11 €.
EXTRAITS
Les Français travaillent plus – « Selon l’enquête de l’institut européen Eurostat, les salariés français travaillent plus en moyenne par semaine (36,5 heures) que les Allemands (34,6 heures) dont la santé commerciale est florissante, que les Scandinaves (34,5 heures au Danemark, 35,6 heures en Suède et 33,3 heures en Norvège), qui affichent les meilleures performances économiques et sociales du monde, que les Néerlandais (29,5 heures), et même que les Américains (33,9 heures). Nous devons nous méfier des présentations qui se focalisent sur les durées de travail des salariés à temps complet, sans compter les salariés à temps partiel, dont la prise en considération donne un tout autre visage de la réalité du temps de travail. »
Travail : la révolution nécessaire, op. cit.
Mieux articuler les temps de vie – « Ce dont s’inquiètent avant tout les Français et ce dont ils sont mécontents, c’est que le travail déborde sur le reste de leur vie. Ce n’est pas tant qu’ils travaillent trop, mais que les différentes activités sont mal articulées entre les différentes sphères de vie. » Travail : la révolution nécessaire, op. cit.
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