publié le 25 mai 2010
Ce nouveau numéro de Passerelles Cadres évoque comme il est normal “le grand dossier des retraites”. Pourrait-il en être autrement ? Depuis des mois, et pour de nombreuses semaines encore, nous l’entendons sur toutes les ondes, sur toutes les lèvres. Et les termes en sont de surcroît posés dans une période singulièrement inquiétante, où ce ne sont plus les entreprises, mais les Etats eux-mêmes, qui deviennent la proie des spéculateurs. Jusqu’à en être parfois menacés de faillite.
Si nous avons jugé bon de diffuser ici les propos de Danièle Karniewicz, Présidente de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse, c’est pour remettre un peu de clarté dans ce concert où dominent les voix des Cassandre. Et sachant que le sujet concerne chacun d’entre nous, engage nos avenirs, et pourrait à terme remettre en question les fondements mêmes de notre pacte social, nous y reviendrons autant qu’il faudra ; et dès le prochain numéro de Cadres & Avenir, à paraitre fin juin.
Au-delà des enjeux économiques, des leviers multiples sur lesquels chaque spécialiste estime qu’on peut ou non jouer (âge légal de départ en retraite, durée des cotisations, niveaux des pensions, montant des prélèvements, mobilisation de ressources nouvelles, harmonisation des régimes, etc.), les termes du débat révèlent, derrière la crise économique et ses conséquences sociales, une crise profonde de toute notre société. Elle m’apparait d’autant plus inquiétante qu’elle est manifestement durable, et sans réelles solutions “techniques”.
En effet, cette question des retraites met en lumière une “énigme générationnelle” complexe, aux conséquences souvent absurdes. Pour ne prendre qu’un exemple, un très récent sondage Ipsos pour l’Observatoire Social de l’Entreprise 2010 pointe cette contradiction : d’un côté, la majorité des chefs d’entreprise (59 %) considère qu’il faut fixer l’âge légal de départ à la retraite à plus de 60 ans, pour assurer l’avenir du régime. De l’autre, ces mêmes responsables estiment à 61 % qu’un salarié ne peut rester en activité dans de bonnes conditions (pour lui et l’entreprise) au delà de 60 ans… “Que les autres s’en débrouillent ! Mais pour ce qui me concerne, je n’emploie aucun senior”, voilà comment chaque employeur résout individuellement l’équation.
À l’autre extrémité de la pyramide des âges, se retrouvent les mêmes contradictions ! Ici, des entreprises refusent d’embaucher des débutants, ou leur suggèrent d’opter pour le statut d’auto-entrepreneur qui, détournant la mesure de son objectif initial, libère de toute contrainte en termes de droit du travail… Et à l’inverse, d’autres qui affichent fièrement des effectifs “à 28 ans maxi”… comme si l’on pouvait se réjouir de faire l’impasse sur tout ce qu’apportent expérience et savoir.
Sans remise en cause profonde de ces politiques, excluant du travail les entrants autant que les quinquas, il est à craindre qu’aucune réforme des retraites n’ait d’effet durable et solide, et qu’on risque au contraire d’encourager de véritables conflits générationnels et interinviduels, sources de nouveaux déséquilibres, économiques, sociaux, sociétaux.
À côté de la réforme structurelle que préparent les experts, politiques, économistes, et dirigeants des grandes centrales syndicales, s’impose la nécessité d’un pacte solennel qui soit réellement mis en oeuvre, et sache enfin prendre ses distances avec ce diktat absurde et suicidaire qu’impose partout la gestion financière omnipotente.
Faute de quoi, la réforme des retraites aura la destinée de ces châteaux de cartes, dont les fondations s’effondrent au premier coup de vent. Et sans doute est-ce à nous, syndicalistes de terrain, de faire avancer ces prises de conscience indispensables dans chaque négociation, pour qu’elles se traduisent demain par des accords plus responsables, et cohérents.
Michel de La Force
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